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Vivre en zone contaminée après Tchernobyl ou Fukushima

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Sylvain Dorient - publié le 05/01/15
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Gilles Hériard Dubreuil, l’un des fondateurs du Courant pour une écologie humaine, évoque les difficultés auxquelles sont confrontés les agriculteurs dans les territoires affectés par une contamination radioactive.

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À Fukushima (Japon) et à Tchernobyl (Ukraine), les accidents sur des centrales nucléaires ont causé des pollutions radioactives durables. Les populations sont confrontées à des choix difficiles, à commencer celui de quitter ou de rester dans leur territoire. Ceux qui décident de rester tentent de trouver des solutions pour reconstruire leur vie sur place en tenant compte de cette contamination, comme a pu l’observer Gilles Hériard Dubreuil, dirigeant de l’équipe de recherche Mutadis et membre du Courant pour une écologie humaine.

Vous avez mené de 1992 à 1995 des études sur les conditions de vie des populations des territoires contaminés suite à l’accident de Tchernobyl. Que constatez-vous ?
Gilles Hériard Dubreuil : La première période de crise accidentelle passée, se pose la question de la vie des populations (lorsqu’elles ne sont pas évacuées de façon définitive par les autorités) dans ces territoires contaminés à des degrés divers et pour des durées souvent longues et dépassant l’horizon de la vie humaine. En pratique, cela peut concerner des millions de personnes (12 millions dans le cas de Tchernobyl). Nombreux sont ceux qui finalement se décident à rester sur leur territoire. En Biélorussie, à partir de 1991 (5 ans après l’accident de Tchernobyl), la question s’est posée des conditions de vie des populations dans les territoires contaminés. Certaines zones devaient être évacuées définitivement mais toutes les populations ne sont finalement pas parties. J’ai pu interroger des responsables locaux, dans le cadre d’une enquête menée en 1993-1994, qui étaient confrontés à cette responsabilité d’assurer des services publics dans ces territoires initialement promis à l’abandon. La question de l’alimentation et du maintien de l’agriculture était l’un des problèmes les plus difficiles.

Il semble pourtant dangereux d’utiliser des terrains contaminés pour des productions alimentaires…
Dans le contexte biélorusse, les populations ont été très vite confrontées (à partir de 1991) à des ruptures d’approvisionnement en produits alimentaires provenant des zones non contaminées. Elles ont été obligées de trouver des solutions locales. D’une façon générale, pour des agriculteurs, avoir une production alimentaire, est le sens profond de leur activité. Dans le contexte japonais de l’accident de Fukushima, certains paysans japonais réussissent à faire pousser du riz très peu contaminé dans des territoires où, en principe, la culture du riz est interdite et de ce fait ne peuvent pas le commercialiser, même si la contamination de leur riz est inférieure à la norme. Ils expérimentent diverses techniques agronomiques pour réduire autant que possible la contamination de leur production. Ces méthodes par exemple s’appuient sur l’utilisation d’engrais qui empêchent la plante de chercher des nutriments dans le sol contaminé. Ils peuvent aussi faire des cultures hors-sol. Ou encore, ils utilisent du Bleu de Prusse dans la production laitière ou dans l’élevage pour réduire la contamination en césium. Le Bleu de Prusse est une substance qui fixe les molécules de césiums radioactifs qui sont ensuite éliminées du corps de l’animal.

Peut-on imaginer qu’une activité agroalimentaire reprenne dans des zones radioactives, à court terme ?
C’est évidemment un sujet qui demande la plus grande prudence. À Fukushima les sols sont durablement contaminés notamment par le césium. Il faudra attendre 30 ans pour que la contamination soit réduite de moitié et 60 ans pour qu’elle se réduise à un quart ! Il faut des nouvelles approches agronomiques adaptées pour prendre en compte cette situation.

Connaissez-vous un exemple de reprise d’activité malgré une contamination radioactive ?
Dans certains cas, il devient possible d’envisager des reprises d’activité. Ainsi par exemple, les Lapons dans le nord de la Norvège ont pu maintenir, grâce à des techniques appropriées, la production de viande de renne qu’ils consomment abondamment (ainsi que la population norvégienne dans une moindre mesure). En effet, les éleveurs de rennes ont été (et restent toujours) gravement impactés par l’accident de Tchernobyl. Les rennes (semi-sauvages) se nourrissent notamment de lichens en parcourant de vastes territoires. Ces lichens absorbent la radioactivité et la viande des rennes est fortement contaminée. Les techniques utilisées consistent à sédentariser ces rennes pendant plusieurs semaines avant l’abattage en les nourrissant de fourrage non contaminé avec des additifs de type Bleu de Prusse.

Mais cela revient à renoncer à leur mode de vie traditionnel ?
L’élevage de rennes est une activité immémoriale et indissociable de la culture lapone. Maintenir cette activité était donc vital pour la survie de ses habitants et les Norvégiens en ont fait une priorité nationale. Il était impossible de stopper cette activité ou de dédommager les éleveurs en leur donnant des compensations. Le maintien d’une activité de production et de consommation de viande de renne ont donc été jugés vitaux. Pour cela, les autorités norvégiennes, en dialogue avec les différentes composantes de la société, ont mis en place un double standard de qualité radiologique pour ce produit. Une norme très protectrice (600 Becquerels par kilo) pour les populations lapones fortement consommatrices (quotidiennement) de viande de renne. Une norme moins restrictive (6 000 becquerels par kilo) pour le reste de la population (moins exposée car ne consommant ce produit que sous la forme de « viande fumée » et de façon occasionnelle car c’est un produit de luxe) et maintenir cette consommation par solidarité entre la population norvégienne et le peuple lapon. 

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