Elles étaient ingénieur, étudiante ou bien femme au foyer, à Qaraqosh, Mossoul ou Bartella. Mais aujourd’hui elles n’ont plus rien et vivent dans des camps de réfugiés.
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Si le visage buriné de Sarah trahit de la fatigue, ses mains énergiques s’activent. « Nous avons distribué des manteaux et de la nourriture à 19 familles. » Interdiction de désespérer. Depuis près de 20 ans, elle venait au secours des familles pauvres de Qaraqosh. Mais la ville s’est vidée en quelques heures, à l’approche des troupes de l’autoproclamé État islamique, en août.
Depuis, Sarah et ses huit volontaires continuent inlassablement d’apporter leur aide aux habitants réfugiés dans des appartements à Ankawa, le quartier chrétien d’Erbil, capitale du Kurdistan irakien, où se sont massées les populations de la plaine de Ninive. Avec d’autres volontaires, elle apporte un soutien vital à ces familles dont le loyer absorbe l’essentiel de leur budget : maintenant que l’hiver est arrivé, les distributions de colis de nourriture ou de vêtements sont d’autant plus indispensables.
Nous avons besoin de vos prières
Assise à côté d’elle, à la table commune de l’Ananas Hall, se tient la riante Balsa, responsable de ce centre où vivent 17 familles. Dans cette grande salle située au premier étage d’un immeuble d’Ankawa, une cinquantaine de personnes cohabitent dans des chambres délimitées par des draps tendus. Balsa aussi est épuisée, mais ne le montre pas. Il n’est que 21 h, la journée est loin d’être finie dans ce centre où elle demeure également. Ingénieur, du temps où elle possédait une maison « en dur » à Qaraqosh, elle a pris en main depuis septembre ce camp qui accueille les convalescents de l’hôpital voisin et certains de ceux qui étaient sous des tentes pendant l’été.
« Nous avons besoin de vos prières. » Sarah et Balsa ont la charge de dizaines de personnes qui manquent de tout, mais avant l’eau, le gaz ou l’électricité, ce qu’elles demandent surtout c’est que leurs frères chrétiens d’Occident les gardent dans leurs intentions de prière. Une coupure de courant déclenche un rire général autour de la table où les habitants de l’Ananas Hall prennent le traditionnel thé très fort et très sucré. Ils sont conscients de leur chance relative, par rapport à leurs anciens voisins de Qaraqosh ou Bartella.
Encore des réfugiés sous des tentes
À Mar Elia, malgré le froid qui règne la nuit, les quelque 130 familles du camp sont encore sous des tentes, plantées autour de l’église chaldéenne. Un chemin bétonné permet de circuler entre les habitations en évitant la boue qui n’a pas encore séché trois jours après la dernière pluie. Dans la tente de Dina, le sol est recouvert de morceaux de moquette pour tenter d’empêcher l’humidité d’atteindre les fins matelas empilés sous la couverture estampillée UNHCR*. Le thé est servi avec un sourire édenté et la joie de donner l’hospitalité dans les yeux – comme avant. Les membres de la famille rentrent tour à tour dans leur chez eux. Maryam, 22 ans, est enceinte de neuf mois ; c’est son premier enfant. Ses mains sur les hanches, elle tente de conjurer la douleur qui lui saisit le dos. En quelques mots en arabe, elle exprime sa peur d’accoucher loin de chez elle dans un camp de réfugiés, en décembre. À côté d’elle, sa soeur donne le sein à sa propre fille, âgée d’un peu plus de deux ans. « C’est nourrissant », dit-elle dans un anglais hésitant.
Le désir et la peur de revenir dans toutes les têtes
« Nous n’avons rien à faire, ici », déplore Rita. En fait, cest presque l’inaction qui pèse le plus. La jeune femme qui demeure à présent dans un camp de tentes à l’écart de la ville étudiait pour devenir ingénieur à Mossoul. Avec ses trois frères et ses parents, elle a dû quitter « sa maison, ses amis, ses robes, son ordinateur et son téléphone »
précipitamment à une heure du matin, le 7 août. Elle n’a même pas pu passer ses partiels de première année ; ses études lui manquent. La peur de Daesh lui tenaille le ventre : « Je n’ose même pas répondre au téléphone à mes amis musulmans qui me demandent des nouvelles, je sais qu’ils ont rejoint Daesh », souffle-t-elle. Sa meilleure amie qui l’a appelée lui a demandé « trop d’informations » sur l’endroit où elle se trouvait, et depuis la jeune fille se méfie car elle croit savoir que le frère de celle-ci a rejoint le groupe État islamique.
Dans le camp, il n’y a pas de jeunes gens de son âge. Rita souhaiterait le quitter mais son père refuse, et la décision lui appartient bien qu’elle ait 22 ans et en paraisse 28. « Si je pouvais, j’émigrerais en Israël ou au Canada », confie-t-elle, les yeux verts rêveurs. « Mais pas en France, il y a trop de musulmans là-bas. Je ne veux plus les voir, l’islam c’est Daesh », s’anime-t-elle. L’espoir de revenir à Qaraqosh est toujours là, mais « qui sait quand ? ». Et de glisser, un sourire dans la voix : « En tout cas les musulmanes ne peuvent pas mettre mes vêtements, elles n’ont même pas dû y toucher ». Comme toutes ses compagnes d’infortune, Rita ne se fait guère d’illusion sur un prochain retour, mais se plaît à l’imaginer.
*L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés : www.unhcr.fr