Aleteia a rencontré Peter Sefton-Williams, président du Comité de rédaction du rapport sur la liberté religieuse de l’AED.
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La pire chose qui puisse arriver à la liberté est de la considérer comme un droit acquis. Surtout quand elle se décline dans ses diverses formes, devenant ainsi matière à légiférer pour les États. Professer sa foi est loin d’être considéré comme un droit acquis, comme le montre la douzième édition – la première date de 1999 – du Rapport sur la liberté religieuse dans le monde élaboré par l’AED. Si bien que jusque dans les pays occidentaux, en principe au-dessus de tout soupçon, on enregistre une détérioration de la situation des minorités religieuses ; et parmi celles-ci, les minorités chrétiennes sont celles qui souffrent le plus. Le document a été présenté ce lundi 3 novembre à l’AED International. Aleteia a demandé à Peter Sefton-Williams, président du Comité de rédaction du Rapport, ce qu’il en pensait.
Qu’est-ce que ce rapport, et que révèle-t-il ?
Peter Sefton-Williams : Ce rapport représente une recherche très ambitieuse concernant toutes les minorités religieuses dans le monde. Même si les chrétiens en constituent une partie importante, nous avons considéré toutes les communautés persécutées et opprimées. Et, au cours des deux dernières années, nous avons constaté que les journaux parlaient de plus en plus de persécutions et de groupes religieux souvent victimes d’autres groupes religieux. L’impression que nous donnent les médias est que la situation des minorités religieuses dans le monde empire de jour en jour.
Cette impression est-elle juste ou pas ?
Peter Sefton-Williams : Nous avons considéré en détail chaque pays, puis établi des classifications. Nous avons également pris en compte le degré (élevé, moyen ou bas) de persécutions pour des motifs religieux ; ensuite, nous avons considéré si au cours des deux dernières années – autrement dit depuis le dernier Rapport de 2012 – la situation s’est améliorée, détériorée ou est demeurée constante. Hélas, dans ce sens nous avons constaté que la situation, d’une façon générale, est tout sauf idéale ; les pays dans lesquels la liberté religieuse, d’une façon ou d’une autre, est entravée représentent 60% du total, soit 116 pays sur 196 considérés. C’est une situation extrêmement grave. Si ensuite on compare par rapport à il y a deux ans, les données montrent, de façon accablante, que lorsqu’il y a eu des changements, il s’agit toujours d’une détérioration de la situation dans 55 des 196 pays, soit dans 28% des cas. Quelques améliorations ont été constatées dans six pays seulement : la liste est surprenante, et pourrait prêter à sourire, car elle comprend l’Iran, les Émirats Arabes Unis, Cuba, le Qatar, le Zimbabwe et Taïwan. Dans les pays comme l’Iran, Cuba et le Qatar, on ne partait certes pas d’une situation excellente, mais du moins, et justement pour cela, on peut trouver de petits changements positifs.
Sur quels critères avez-vous établi ces classements ?
Peter Sefton-Williams : En rédigeant lce rapport, nous avons considéré en premier lieu la situation juridique et institutionnelle des minorités religieuses dans chaque pays et, ensuite, nous avons comparé la situation juridique à celle sur le territoire. Les critères objectifs adoptés viennent d’un document américain d’il y a quelques années, qui résumait les principes de la liberté religieuse. Pour les résumer : le premier est la liberté de se convertir à une autre religion, le second est la liberté de construire des lieux de culte, le troisième est la liberté de se réunir pour prier, ensuite celui d’amener les enfants à sa propre foi, de l’enseigner ouvertement, de la professer sans compromettre les chances de trouver un emploi, même dans le secteur public. Nous avons établi nos classements sur ces cinq à six critères.
Dans les pays occidentaux, souvent on n’en parle pas, où en est la liberté religieuse ?
Peter Sefton-Williams : On a souvent tendance, il est vrai, à idéaliser la situation chez nous. Dans la recherche, nous avons considéré l’Europe et le monde occidental de façon très analytique. Nous avons trouvé que la situation suscite quelque préoccupation et que la tendance va dans le sens d’une détérioration, dans les pays suivants : Hongrie, Canada, Danemark, France, Allemagne, Hollande, Suède et Royaume-Uni.
Quelle est la situation des minorités chrétiennes dans le monde ?
Peter Sefton-Williams : À la base de notre Rapport, a-t-on dit, il y a l’idée d’un « droit oublié », ou dont on ne parle guère, qui est l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. L’article 18 est sur la liberté religieuse, soit le droit à pratiquer sa propre foi. Notre culture est obsédée par les droits civils. Nous passons notre temps à nous occuper des droits des homosexuels, des femmes, des minorités ethniques ; mais le droit à la liberté religieuse semble être oublié, et surtout les hommes politiques, semble-t-il, ne veulent pas en parler. Je voudrais donner un exemple, qui concerne l’Isis et les atrocités qu’ils ont commises : en juillet dernier, l’Isis a conquis Mossoul, une ville du nord de l’Irak dans laquelle vivaient 30 000 chrétiens. À tous, les extrémistes ont donné ce choix : ou se convertir, ou quitter la ville. S’ils ne partaient pas, ils auraient été tués et, c’est clair, tous ont choisi de partir. Eh bien, aujourd’hui pour la première fois en 1 600 ans il n’y a pas de chrétiens dans cette ville, mais pour une raison quelconque, l’Occident est resté quasi complètement silencieux. Pourquoi ce silence ? Ce n’est que lorsque les Yézidis ont été attaqués que les médias s’y sont intéressés ; mais quand ce sont les chrétiens qui ont été attaqués – et rappelons que les chrétiens, avec une certitude absolue, représentent le groupe religieux le plus persécuté sur la planète – l’Occident et ses organes d’information ont été réticents à en parler. De même pour les politiques, sûrement bien mieux disposés à parler de persécutions des autres groupes.
Comment l’expliquez-vous ?
Peter Sefton-Williams : Je crois qu’ils veulent éviter de paraître montrer du favoritisme, ou alors ils sont de quelque façon partisans. Ils pensent qu’ils paraissent plus neutres et objectifs s’ils restent silencieux sur les chrétiens. Mais s’il y a une chose que notre recherche a montrée, c’est que nous ne pouvons pas accepter que, face à cette situation croissante de persécutions religieuses, les « décideurs politiques » (« policy makers ») et les médias restent muets. De plus, si nous demandons d’où vient le changement, la réponse est qu’il doit venir des chefs religieux, ce sont eux qui doivent se faire entendre. A ce propos j’ai vu que, il y a quelques jours, 120 imams ont signé une lettre commune sur l’Isis, et ceci est exactement ce parler fort et clair que nous devons mettre en pratique. Récemment aussi, à la Chambre des Lords britannique, le rabbin en chef Lord Sachs a fait une déclaration merveilleuse, il a rappelé que Dieu Lui-même condamne les crimes commis en son nom. C’est le type d’interventions utiles et qui commencent à exister. Cependant, d’une façon générale, cet article 18 reste « un droit oublié », et la conséquence est que des choses terribles surviennent encore.