Qui a le plus besoin du Pape ? C’est le «petit troupeau» d’Irak et de Syrie, plaide le patriarche chaldéen de Bagdad, Mgr Louis Raphael Sako.
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Au cours du Consistoire du lundi 20 octobre, que le pape François a consacré principalement à la situation dramatique au Moyen-Orient, avec une attention particulière à la Syrie et l’Irak, Aleteia s’est entretenu avec le patriarche chaldéen de Bagdad, Raphaël Louis Sako j, qui a participé à cette réunion, aux côtés de 86 autres cardinaux et patriarches des Eglises orientales catholiques.
Durant le Consistoire, quelles requêtes avez-vous adressées au Pape pour votre communauté ?
Mgr Sako : Pour la première fois, je me suis adressé au pape François : il est le père de tous les chrétiens. Et ceux qui ont le plus besoin de lui, c’est le « petit troupeau » d’Irak, de Syrie. Notre peuple a besoin de ses paroles de réconfort et d’encouragement. Je lui ai demandé d’écrire un message personnel, une petite lettre pastorale, comme le faisait l’apôtre Paul aux premières communautés chrétiennes, pour encourager les chrétiens à persévérer.
Et vous ne lui avez pas demandé de venir en personne ?
Mgr Sako : Evidemment, si ! Même un seul jour, une brève visite. Sa présence nous aidera face au gouvernement, face aux autorités musulmanes. Et les gens diront aussi : “Vous voyez, les chrétiens ne sont pas oubliés ou isolés ”. Que vous a répondu le Pape ? Mgr Sako : "Je suis prêt ”. De toutes façons, ces jours-ci, il va rédiger une lettre.
Comment a été décrite dans le Consistoire la situation des chrétiens en Irak et au Moyen-Orient ?
Mgr Sako : La présence chrétienne est menacée : nous courons le risque de disparaître. Nous sommes opprimés et contraints à l’exode. Cette forme de terrorisme de l’ISIS élimine tout le monde, en particulier les chrétiens. Il s’agit d’une idéologie fermée, qui s’affirme dans la violence. Les gens vivent dans la panique ; et c’est pourquoi l’Église, mais aussi la communauté internationale – j’ai demandé aux Conférences épiscopales du monde entier d’intervenir en ce sens auprès de leurs gouvernements – doivent protéger les minorités et une présence chrétienne historique. L’Eglise a un rôle de dialogue et de médiation entre les différentes communautés.
Lors de la rencontre d’aujourd’hui a été évoquée la difficulté pour les évêques, confrontés à une situation si difficile où c’est la vie qui est en jeu, de conseiller aux chrétiens d’émigrer ou de rester. Et vous-même, que dites-vous?
Mgr Sako : Nous sommes là depuis deux mille ans: nous avons une mission et un rôle, et si il y a un avenir pour l’Eglise, appelée Eglise chaldéenne. Il n’est pas dans la diaspora, mais en Irak. Si toutes les familles s’en vont ainsi que les prêtres, c’est toute l’histoire et le patrimoine chrétien chaldéen qui disparaîtront. Il se produira une rupture avec deux mille ans d’histoire. Il y a un avenir, il y a un futur pour les chrétiens s’ils restent unis. Ils doivent avoir le courage de dire les choses clairement et de revendiquer leurs droits. Tous les musulmans ne sont pas de l’ISIS ! Je rencontre sans cesse les chefs religieux et civils, et ils veulent nous aider. C’est une situation exécrable, mais ça ne va pas durer. Il faut être patient et persévérer. Que signifie l’espérance chrétienne si nous ne la voyons pas concrètement ? Il faut aider les chrétiens à rester. Cette “Passion” va passer.
Pourquoi avoir envoyé une lettre de rappel aux prêtres et religieux qui sont partis d’Irak sans demander l’autorisation à leurs supérieurs, en les sommant de revenir avant le 22 octobre ?
Mgr Sako : Les prêtres qui ont fui sans aucun document canonique encouragent les autres à partir, ainsi que leurs familles. Ils ont demandé l’asile dans les pays occidentaux, tandis que d’autres sont restés fidèles à leur peuple. Il n’y a pas de justice dans ceci. Si nous ne fixons pas de limites, d’autres vont partir, l’Église et le pays resteront sans chrétiens. Nous avons une vocation. Le prêtre s’est donné au Seigneur et à son service : il ne doit pas chercher sa liberté, sa sécurité. Son avenir est la fidélité au Christ et aux gens, pas en Amérique ou en Australie. Certains prétendent avoir la nationalité de ces pays, mais qu’est-ce que cela a à voir avec le sacerdoce? Il y a aussi six moines : un moine a fait le choix de la vie communautaire. Comment peut-il la laisser et s’en aller pour être curé aux Etats-Unis sans l’autorisation de son supérieur ?
Que va-t-il se passer s’ils ne reviennent pas ?
Mgr Sako : Ils seront suspendus. Nous sommes des pasteurs et nous devons donner le bon exemple. Nous devons servir le troupeau.
Aujourd’hui, la Turquie a décidé d’intervenir plus directement, autorisant le passage des peshmergas kurdes tandis que la coalition internationale agit. Pensez-vous que ce soit la meilleure façon pour résoudre le problème de l’ISIS ?
Mgr Sako : Je ne pense pas. Bombarder ne règlera pas le problème. On entend des discours un peu décevants sur la prolongation des opérations militaires : on parle de deux à cinq ans. Ce qui signifie dire aux familles de réfugiés qu’ils ne peuvent rentrer chez eux et qu’ils doivent partir. C’est comme si on disait à l’ISIS "vous avez encore le temps". Il faudrait des opérations au sol, mais il faut également une stratégie pour démonter cette idéologie, et modifier les programmes d’enseignement religieux et d’histoire, parler plus ouvertement et de façon modérée de l’Islam. Ceci touche les musulmans : il faudrait effectuer une nouvelle lecture de l’Islam et chercher un message pour les gens d’aujourd’hui et un sens à leur vie. L’ISIS tue aussi les musulmans modérés, et un islam fermé n’a pas d’avenir. Nous avons plutôt besoin de travailler ensemble à un projet de citoyenneté dans lequel la religion est considérée comme un choix personnel. Pourquoi indiquer la religion sur la carte d’identité ? Aujourd’hui, nous sommes évalués en fonction de la religion, et les unes sont de série “a”, les autres de série “b”. Ce n’est pas juste. Sur ce point, nous avons déjà entamé un dialogue avec les autorités musulmanes. Le fondamentalisme est un danger pour les musulmans comme pour les chrétiens. Un défi pour tous.
Traduit de l’édition italienne d’Aleteia par Elisabeth de Lavigne