Conservateur, progressiste… Il y a les étiquettes que l’on (se) donne et celles que l’on reçoit. Et si toutes étaient nocives ?
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J’avais été choqué que certains se drapent de l’appellation « catholique d’ouverture », appellation qui, me reléguant au rang de ‘catho en clôture’, avait ce parfum renfermé d’un « camp du bien » un peu select. Plus récemment, j’ai été attristé que, dans une interview à La Vie où il se félicitait d’ailleurs de la capacité des jeunes à « transcender les clivages » politiques et ecclésiaux, l’Abbé Grosjean ait cru bon d’identifier un clivage nouveau entre « ceux qui prennent le tournant du christianisme identifié et décomplexé et ceux qui restent dans l’Eglise des années 80 où il faut s’excuser d’être chrétien. »
Tollé compréhensible à ma gauche : il n’en fallait pas plus pour susciter un mouvement défensif, ce qui avait conduit Benoît à appeler chacun à « lever les yeux »vers le monde et vers la croix.
Dans ce mouvement, certains ont publié des analyses savantes du catholicisme. J’en retiens essentiellement ceci : d’une part, ces analyses procèdent précisément du repli identitaire qu’elles dénoncent dans le « camp d’en face » ; d’autre part, leur objectif est toujours, pour employer les termes de l’une d’elle, de redessiner la « norme » et les « marges ». Bref, chacun est l’extrémiste de l’autre au lieu d’être son frère.
Alors que l’étiquetage idéologique semble devenir dans nos contrées un sport national, aux Etats-Unis, un jésuite veut siffler la fin du match.
Rédacteur en chef de la revue America, Matt Malone s.j. a banni de son titre les termes ‘conservateur’ et ‘progressiste’. Dans un livre récent, « Catholiques sans étiquette », il explique pourquoi. Pour Malone, ces étiquettes sont importées de la politique : les hommes politiques devant proposer une vision du monde qui justifie leur action, sont toujours tentés par l’idéologie.
« L’idéologie qu’elle soit politiquement de gauche ou de droite, est un métarécit terrestre autoréférentiel, une ‘doctrine, écrit Kenneth Minogue, qui présente la vérité cachée et salvatrice sur les malheurs du monde sous la forme d’une analyse sociale’». Ces idéologies ont deux grands travers. Tout d’abord, elles se présentent comme étant sans faille : « Une erreur ne doit pas être une erreur : elle s’explique par une propriété jusqu’alors méconnue de la structure. » De plus, elles ont en commun de désigner un ennemi, un bouc émissaire.
Dans ces étiquettes autocentrées, se joue donc en réalité le rapport entre la politique et la mystique. Le politique – qui se rêve prophète – revendique ainsi ce qui appartient à la mystique, la politique allant parfois jusqu’à se muer en liturgie.
Est-ce à dire que les deux doivent être strictement séparées ? Malone, reprenant les thèses de William T. Cavanaugh, le récuse : si la séparation de l’Église et des États est acquise, les chrétiens enracinent nécessairement leur engagement dans un autre métarécit, qu’est la Révélation.
Pour Malone, le grand danger réside dans l’importation des catégories politiques dans la compréhension de l’Eglise : « Quand nous analysons l’Eglise selon des catégories qui ressortissent davantage à la politique séculière qu’à la théologie, nous tordons inévitablement l’identité intrinsèque de l’Eglise ». C’est cette façon de penser qui conduit par exemple à réduire le « peuple de Dieu » aux laïcs pour mieux l’opposer au clergé.
L’opposition « progressisme /conservatisme » est, notamment depuis l’élection du Pape François, l’unique paradigme des vaticanistes, auxquels elle permet de vendre du papier à peu de frais. Qu’un collège cardinalice qu’ils qualifiaient unanimement de conservateur ait élu un pape qualifié tout aussi unanimement de progressiste ne suffit manifestement pas à semer le doute dans leurs esprits sur la validité de cette grille de lecture.