Qu’est-ce donc que « la nouvelle évangélisation » et où en est-on de sa mise en œuvre ? Revisitons ce qu’ont dit et entrepris les trois derniers papes.*
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Evangéliser, c’est aujourd’hui comme hier proclamer le kérygme – pléonasme comparable à l’expression « chanter une chanson » puisque « kérygme » est décalqué du mot grec ancien κήρυγμα / kérugma, qui signifie « proclamation à voix haute », celle que fait le κῆρυξ / kêrux, le « héraut »).
De quoi tout baptisé est-il appelé à être le héraut ? De l’énoncé premier de la foi chrétienne qui tient en trois affirmations essentielles :
• Jésus-Christ est le Messie, le fils de Dieu ;
• Il est mort pour nous et ressuscité ;
• Il faut nous convertir, changer nos cœurs, changer de vie.
I Les trois derniers papes nous parlent de la « Nouvelle Evangélisation ». Voyons ce qu’ils en disent.
1) Le pape Jean Paul II a lancé l’expression « nouvelle évangélisation » qu’il a prononcée pour la première fois, le 9 juin 1979, à Nowa Huta, en Pologne, devant les ouvriers qui résistaient au communisme avec le syndicat Solidarnosc :
« En ces temps nouveaux…une nouvelle évangélisation est commencée, comme s’il s’agissait d’une nouvelle annonce, bien qu’en réalité ce soit toujours la même. La Croix se tient debout sur le monde qui change ».
A l’adresse des chrétiens du monde occidental libre, souvent tièdes ou déjà froids, empêtrés dans la sécularisation comme les catholiques de France, la Nouvelle Evangélisation a consisté d’abord à les réveiller… J’étais présent au Bourget en 1980 quand le jeune et beau Jean Paul II, le « sportif de Dieu » ainsi que nous l’avait présenté le cardinal Marty au Parc de princes, nous a interpellés vigoureusement : « France, fille aînée de l’Eglise, qu’as-tu fait des promesses de ton baptême ? ». Pour nous, il fut le pape venu rallumer le feu, raviver la foi.
Il a fait décoller la fusée en s’adressant aux chrétiens de base, les laïcs (alors que nombre de clercs étaient empêtrés dans « le social » c’est-à-dire, concrètement, dans l’invention d’une religion horizontale) en leur demandant de retrouver leur ferveur première. Et cela, sans en rester au fidéisme, à la foi du charbonnier, mais de cultiver ensemble la foi et la raison, « Fides et ratio » : « La foi et la raison sont comme deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité.» Il nous a demandé de nous purger d’une vague religiosité qui laisserait le champ libre à toutes les opinions morales, sociales et politiques comme si toutes se valaient. Et d’ oser affirmer que la vérité existe, et d’oser nous insurger contre le mal.
Avec le réalisme qui le caractérisait, nourri de sa grande expérience pastorale, Jean Paul II a demandé à toute l’Eglise de commencer par le commencement, la cellule de base : la famille. Pendant 25 ans, il n’a cessé de parler de la famille ! Il a aussi beaucoup écrit : une exhortation apostolique (Familiaris Consortio), une encyclique (Evangelium vitae), plusieurs lettres dont sa « Lettre aux familles » de 1994… On lui doit en outre des créations majeures : le Conseil pontifical pour la famille, les instituts Jean Paul II pour la famille, le premier Synode sur la famille, les Rencontres mondiales des familles… Son apport est immense.
Et il a décléricalisé les débats en intégrant des couples mariés à la réflexion de l’Eglise sur les questions du mariage, de la sexualité, de la famille. Il l’a fait dès le premier Synode sur la famille de 1980. C’était la première fois dans l’histoire de l’Eglise que des couples participaient à un synode. De même, en créant le Conseil pontifical pour la famille, il y a nommé vingt couples, représentant les cinq continents. Les églises locales se sont par la suite largement inspirées de ce modèle.
2) Benoît XVI a lui aussi insisté sur le «rôle de premier plan » des familles chrétiennes dans l’évangélisation contemporaine. « De même que l’éclipse de Dieu et la crise de la famille sont liées, disait-il, de même la nouvelle évangélisation est inséparable de la famille chrétienne ».
Benoît XVI qui, ne l’oublions pas, fut le Préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi pendant un quart de siècle au service de Jean Paul II, a développé l’intelligence de la foi.
Comme pape, il a dirigé le second étage de la fusée de la nouvelle évangélisation en affinant la trajectoire et en lui donnant du combustible. L’énergie de Jean Paul II avait arraché la fusée à la terre, la finesse théologique de Benoît XVI lui a donné de se diriger dans l’espace. C’est notamment à cette fin qu’il a créé le Conseil pontifical pour la Nouvelle Evangélisation en 2010.
Avec lui, nous avons mieux compris que la Nouvelle Evangélisation n’est pas nouvelle comme s’il s’agissait de donner un nouveau visage à Celui qui est annoncé ou de réécrire les évangiles, mais en raison de ceux qui sont chargés de l’annoncer et de ses destinataires (je terminerai par eux).
Chaque fois qu’un nouveau monde à évangéliser se profile dans l’Histoire, nous voyons surgir une nouvelle catégorie d’annonceurs comme fer de lance de l’évangélisation :
-les évêques durant les trois premiers siècles ;
-les moines dans la deuxième vague, au moment des invasions barbares jusqu’à la première partie du Moyen Age ;
-les religieux dans la troisième, celle de l’apogée du Moyen Age (franciscains, dominicains) puis des temps modernes (jésuites).
Aujourd’hui, nous assistons à l’apparition d’une nouvelle catégorie d’évangélisateurs : les laïcs. De toute évidence, il ne s’agit pas d’une catégorie qui viendrait se substituer aux précédentes mais d’une nouvelle force du peuple de Dieu venant s’ajouter aux autres, les évêques restant toujours, sous la conduite du pape, les guides et les responsables de la mission de l’Eglise.
3) Le pape François vient comme saint Paul nous rappeler que malgré notre foi, notre science, notre enthousiasme, le mal que nous nous donnons pour convaincre, nous ne seront que "des cymbales retentissantes" si nous n’avons pas la charité, l’agapè, l’amour, la bonté (1 Cor 13,1). Bref si nous ne commençons pas par aimer Dieu de tout notre coeur, et ceux que nous voudrions amener à connaître et aimer Jésus. Cet amour, c’est d’abord entre nous, chrétiens, disciples, missionnaires, qu’il doit régner. C’est moins par nos discours même s’ils sont pleins de flamme et très persuasifs que par notre charité que nous sommes des témoins. Jésus nous l’a dit : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples » (Jean 13,25.) et qu’on aura envie de faire partie du club !
« Voyez comme ils s’aiment !» est vraiment le sésame de toute évangélisation. (Un écrivain du deuxième siècle, Tertullien, nous a transmis ce commentaire des païens qui, touchés par la conduite des fidèles de l’époque, répétaient : « Voyez comme ils s’aiment ! » (Tertullien, Apologeticum, 39, 17).
II A qui nous adressons-nous en Occident ? A un monde déchristianisé.
Nous ne vivons pas en Occident dans un milieu strictement païen mais dans un univers sécularisé, « postchrétien », en rupture avec ce qu’il croit connaître de l’Eglise et de l’Evangile.
Cette précision qui apparaissait déjà dans les documents de Jean Paul II, est devenue plus explicite chez Benoît XVI. Le motu proprio par lequel il a institué le « Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation », parle de « nombreux pays d’ancienne tradition chrétienne, devenus réfractaires au message évangélique ».
Qu’est-ce qui caractérise ce nouveau monde destinataire de l’annonce ? Le scientisme (les progrès de la science sauveront l’humanité), la sécularisation (plus besoin de Dieu, c’est une projection de l’esprit humain qui est source d’intolérance – en France, cela s’appelle la « laïcité »), le rationalisme (la raison humaine est chargée de façonner l’homme nouveau). Trois idéologies-sœurs qui mènent au même résultat : le relativisme. Tout se vaut, aucune vérité, aucune « valeur », rien ne mérite qu’on donne sa vie. On ne croit plus à rien ou plutôt on croit à n’importe quoi qui pourrait être non pas vrai ou bon mais « utile » – et que l’on rejettera tôt ou tard pour chercher une nouvelle planche de salut.
Et ce relativisme, ce petit bonheur à la carte, ce supermarché des recettes est multiplié par ce nouveau continent à évangéliser : l’univers numérique où foisonnent les prétendues planches de salut – mais aussi, Dieu merci, le navire de l’Eglise et toutes ses chaloupes !
III Comment témoigner dans ce monde qui se croit devenu maître de son destin ?
Le P. Raniero Cantalamessa, ofmcap., prédicateur de la Maison pontificale, a évoqué le rôle des laïcs et ceux qu’ils ont mission d’évangéliser dans sa quatrième prédication de l’Avent, le vendredi 23 décembre 2011. Je cite ici des passages de son intervention.
Le Père Cantalamessa reprend l’image classique du navire pour évoquer l’Eglise et sa mission :
« … Imaginons le sillon d’un vaisseau. Celui-ci commence par une pointe qui est la proue du vaisseau, mais une pointe qui s’élargit au fur et à mesure, jusqu’à se perdre à l’horizon et finir par toucher les deux rives opposées de la mer.
Voilà ce qui s’est passé dans l’annonce de l’Eglise : celle-ci commence par une pointe: le kérygme, « Jésus, livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification » (cf. Rm 4, 25; 1 Co 15,1-3); de manière encore plus synthétique: « Jésus est le Seigneur! » (Ac 2, 36; Rm 10,9).
On a une première dilatation de cette pointe avec la naissance des quatre évangiles, écrits pour expliquer ce noyau initial, et avec le reste du Nouveau Testament;
Puis vient la tradition de l’Eglise, avec son magistère, sa liturgie, sa théologie, ses institutions, ses lois, sa spiritualité. Le résultat final est un immense patrimoine qui fait précisément penser au sillon d’un vaisseau dans sa plus haute dilatation.
A ce point, si l’on veut évangéliser le monde sécularisé, un choix s’impose. D’où partir ? De n’importe quel point du sillon, ou de la pointe? L’immense richesse de doctrine et d’institutions peut devenir un handicap si nous cherchons à nous présenter avec elle à l’homme qui a perdu tout contact avec l’Eglise et ne sait plus qui est Jésus.
Il faut aider cet homme à entrer en contact avec Jésus ; faire avec lui ce que Pierre a fait le jour de la Pentecôte avec les trois mille personnes présentes : leur parler de Jésus que nous avons crucifié et que Dieu a ressuscité, l’amener au point où lui aussi, touché dans son cœur, finira par demander: « Frères , que devons-nous faire ? » et nous-mêmes répondrions, comme Pierre a répondu : « Repentez-vous, faites-vous baptiser, si vous ne l’êtes pas encore, ou confessez-vous, si vous êtes déjà baptisés. »
Nous avons un allié : l’échec de toutes les tentatives faites par le monde sécularisé de remplacer le kérygme chrétien par d’autres « cris » et d’autres « manifestes ». ( Le P. Cantalamessa fait ici allusion au célèbre tableau « Le cri » de l’artiste norvégien Edvard Munch, comme symbole du profond désarroi de l’ homme contemporain , de son angoisse existentielle.) (fin de citation)
L’homme contemporain aspire au salut autant et plus que ses prédécesseurs car toutes les tentatives modernes pour le rendre libre et heureux ont échoué – et de quelles façons ! (cf. les totalitarismes communiste et nazi mais aussi l’hédonisme et le consumérisme contemporain : voyez encore ce mois d’août le suicide de l’acteur Robin Williams, atteint de la même maladie que Jean Paul II,et qui incarnait, notamment à travers le film « Le cercle des poètes disparus », la fantaisie inventive contemporaine pour « faire danser la vie ».) L’homme ne peut pas se sauver lui-même.
Cette immense détresse que nous côtoyons dans nos familles, chez nos amis, au travail, dans la rue, c’est le signe que la nature humaine ne change pas, que les aspirations de l’homme au bonheur, à l’amour, à la vérité, à l’immortalité sont toujours présentes, qu’elles le « travaillent » et se manifestent de toutes sortes de façons…y compris la désespérance et le suicide.
Parce que le Christ est ressuscité, qu’il est avec nous chaque jour jusqu’à la fin du monde, par ce qu’il est notre contemporain, et parce que vous vous abreuvez à « la source du vignoble », vous en êtes témoin : « Celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde » (1 Jn 4,4).
Voilà ce dont vous témoignez à tous les carrefours, vous les missionnaires d’aujourd’hui.
Enfin, n’oubliez pas le nouveau forum, l’univers numérique ! Benoît XVI avait insisté sur ce nouvel univers à évangéliser dans son Message pour la Journée mondiale des Communications sociales du 5 juin 2011 : la révolution numérique est d’une ampleur comparable à celle de la révolution industrielle. Or, dit-il, « les nouvelles technologies ne changent pas seulement le mode de communiquer, mais la communication en elle-même. (…) Avec un tel système de diffusion des informations et des connaissances, naît une nouvelle façon d’apprendre et de penser, avec de nouvelles opportunités inédites d’établir des relations et de construire la communion. (…)
Il existe un style chrétien de présence également dans le monde numérique : il se concrétise dans une forme de communication honnête et ouverte, responsable et respectueuse de l’autre. Communiquer l’Évangile à travers les nouveaux médias signifie non seulement insérer des contenus ouvertement religieux dans les plates-formes des divers moyens, mais aussi témoigner avec cohérence, dans son profil numérique et dans la manière de communiquer, choix, préférences, jugements qui soient profondément cohérents avec l’Évangile, même lorsqu’on n’en parle pas explicitement. Du reste, même dans le monde numérique il ne peut y avoir d’annonce d’un message sans un cohérent témoignage de la part de qui l’annonce. Dans les nouveaux contextes et avec les nouvelles formes d’expression, le chrétien est encore une fois appelé à offrir une réponse à qui demande raison de l’espoir qui est en lui (cf. 1P 3,15).
(…) La proclamation de l’Évangile demande une forme respectueuse et discrète de communication, qui stimule le cœur et interpelle la conscience ; une forme qui rappelle le style de Jésus Ressuscité lorsqu’il se fit compagnon sur le chemin des disciples d’Emmaüs (cf. Lc 24,13-35), qui furent conduits graduellement à la compréhension du mystère à travers la proximité et le dialogue avec eux, pour faire émerger avec délicatesse ce qu’il y avait dans leur cœur. » (fin de citation)
Cette route d’Emmaüs est souvent aujourd’hui le chemin numérique des réseaux sociaux.
Ne quittez pas quelqu’un sans lui donner moyen de vous rejoindre sur Facebook ou sur votre site d’Ain Karem. Maintenez le contact ! C’est le propre du web 2.0 de permettre que la rencontre se poursuive par un échange, que le feu soit entretenu. A chacun de se demander si les « amis » qu’il a sur Facebook ou les abonnés à son compte Twitter peuvent reconnaître qu’ils ont affaire à un chrétien, et si ce chrétien leur donne envie de poursuivre l’échange !
*Conférence donnée aux missionnaires de la communauté Aïn Karem dans la cathédrale de Bayonne le 13 août 2014.