Les minorités chrétiennes et musulmanes du Népal redoutent que l’accueil reçu par Narendra Modi, premier ministre de l’Inde, le puissant voisin, ne soit un signal donné aux activistes hindous.
Pour qu’Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l’avenir d’Aleteia deviendra aussi la vôtre.
*don déductible de l’impôt sur le revenu
(Légende photo : Narendra Modi au temple de Pashupatinath, lundi 4 août.)
De l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris (MEP),Eglises d’Asie :
Arrivé dimanche 3 août pour une visite officielle de deux jours à l’invitation de son homologue népalais Sushil Koirala, Narendra Modi est reparti mardi 5 août, laissant « le pays sous le charme », selon les termes de Syed Akbaruddin, porte-parole du gouvernement népalais.
Dans le contexte difficile d’une jeune république embourbée dans une crise politique et sociale sans précédent, cette visite, – la première d’un chef d’Etat indien au Népal depuis 17 ans – , s’affichait d’ores et déjà comme particulièrement délicate, aussi bien pour le Népal qui vit depuis des siècles sous l’hégémonie de son trop puissant voisin, que pour l’Inde qui joue actuellement un jeu serré avec la Chine, laquelle tente elle aussi d’entrer dans les bonnes grâces de Katmandou.
Très courtisé pour les richesses énergétiques de son territoire (essentiellement hydrauliques) sur lesquelles lorgnent les deux grandes puissances, et menacé par sa trop grande fragilité d’Etat-tampon en pleine faillite économique, le Népal attendait beaucoup de cette visite de Narendra Modi, tout en ne cachant pas ses appréhensions.
Lors de l’arrivée de Narendra Modi au pouvoir en mai dernier, le gouvernement népalais avait même dû rassurer la population du pays en assurant que « [malgré la victoire de Modi] , les hindous n’avaient aucune raison d’être surexcités, tout comme les minorités religieuses n’avaient aucune raison d’être effrayées, le Népal restant un pays laïc où toutes les religions avaient les mêmes droits ». Un vent de panique avait en effet soufflé sur les communautés minoritaires népalaises, lesquelles voyaient avec crainte les nationalistes hindous dont l’influence est grandissante aujourd’hui dans le pays, se réjouir de la victoire du Bharatiya Janata Party (BJP), parti hindouiste de Narendra Modi.
La visite du Premier ministre indien avait été préparée en amont par son ministre des Affaires étrangères qui avait relancé fin juillet les réunions de la Commission conjointe Népal-Inde, interrompues depuis 23 ans. Ce dernier avait également mis en place avec son homologue népalais, les bases d’une réévaluation des accords entre les deux pays, dont le fameux « Traité de la paix et de l’amitié » signé en 1950.
Signé entre les dirigeants du Congrès népalais et indiens alors au pouvoir, le Traité impose à Katmandou de l’informer de toute intervention ou différend pouvant remettre en cause leur « amitié », et donne à l’Inde un droit de regard sur la politique étrangère et de défense du pays himalayen. Toujours en vigueur, ce traité, régulièrement dénoncé par les autorités népalaises, continue d’entretenir depuis des décennies le sentiment anti-indien.
Conscient de l’agacement provoqué au Népal par les « ingérences indiennes », Narendra Modi a voulu dès son arrivée, montrer la bonne volonté de son gouvernement, en promettant sa totale « neutralité » dans l’actuel travail d’élaboration de la Constitution népalaise. Dimanche 3 août, le Premier ministre indien s’adressant à la Constituante népalaise s’est ainsi engagé à ce que l’Inde « n’interfère en aucune manière dans le processus [de rédaction de la Constitution], et soutienne le choix du peuple népalais quel qu’il soit ».
Une déclaration qui a semblé satisfaire aussi bien le Premier ministre Sushil Koirala, que les principales factions politiques (dont celle menée par Baburam Bhattarai, ancien premier ministre népalais et leader de l’ Unified Communist Party of Nepal (Maoist)), ou encore les leaders des partis pro-hindous et monarchistes que Narendra Modi a rencontrés lundi dernier. « J’ai rappelé au Premier ministre indien que les notions de fédéralisme, laïcité et de démocratie n’étaient pour le moment que de simples termes abstraits, non réels, le peuple népalais n’ayant pas encore livré sa décision et la Constitution n’ayant pas encore été écrite » (1), a déclaré à The Hindu, Kamal Thapa, président du Rashtriya Prajatantra Party – Népal (RPP -N), parti en faveur de la restauration d’une royauté et d’une nation hindoue. Narendra Modi, confie-t-il encore, a réitéré auprès de lui sa promesse de ne pas intervenir dans les affaires du Népal qui doit rester « seul maître de son destin ».
Si cette assurance de « neutralité bienveillante » en a rassuré certains, elle en a inquiété d’autres. Le RPPN, réputé proche de Narendra Modi, a aujourd’hui un nombre de sièges conséquent à la Constituante et se montre certain d’y faire admettre ses prises de positions. La volonté du parti de faire disparaître de la Constitution la mention de la laïcité de l’Etat – et donc la liberté religieuse – , inquiètent fortement les minorités chrétiennes et musulmanes du pays. Ces dernières ont d’ailleurs constaté depuis l’avènement de Narendra Modi, une augmentation de l’extrémisme hindou et des attaques envers les communautés minoritaires.
Toujours dans le cadre de sa politique de soutien à la religion hindoue, Narendra Modi s’est rendu lundi 4 août au temple hindu de Pashupatinath, où il a effectué la Rudrabhishekh puja (dédiée à Shiva) et le rituel d’offrande Panchamrit (2). « J’ai dit au Premier ministre indien que nous le voyions comme le héraut de l’hindouisme et que nous lui étions gré de ses efforts pour sauver la culture hindoue », a rapporté à The Hindu, le chef des prêtre du temple, Mool Ganesh Bhatta (3). Le leader BJP a par ailleurs laissé une offrande très conséquente à la « Bénarès du Népal » : 2 500 tonnes de bois de santal ainsi que 250 millions de roupies (soit un peu plus de 3 millions d’euros) pour l’entretien et la restauration du temple. Un geste qui semble souligner le fait qu’au-delà des nouveaux partenariats économiques, l’hégémonie indienne tient à se maintenir dans le domaine spirituel et idéologique. Depuis des siècles, l’Inde joue un rôle important au sein de Pashupatinath, y compris dans l’organisation du temple lui-même et de la nomination de ses prêtres, les Bhattas, formés en Inde. (…)
Lire l’intégralité de l’article sur le site de Eglises d’Asie.
(eda/msb)
Notes
(1) La Constitution provisoire du Népal de 2007 présente en effet le pays comme une république démocratique, fédérale et laïque.
(2) Il s’agit des cinq substances composant le nectar d’immortalité : beurre clarifié, lait, yaourt, sucre, miel. La « pantchamrit puja » consiste à frotter le lingam de Shiva de ces ingrédients en récitant des mantras.
(3) Voir le conflit qui a opposé les prêtres Bhattas indiens de Pashupatinath au gouvernement maoïste en 2009. http://eglasie.mepasie.org/asie-du-sud/nepal/2009-01-16-fin-du-bras-de-fer-politico-religieux-opposant-le