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Mossoul : l’élimination des chrétiens vise la fin de l’État irakien

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En sommant les chrétiens de Mossoul de quitter la ville, de se convertir ou de payer un impôt, sous peine de mort, les islamistes s’attaquent à l’unité nationale.

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(Légende : les églises de Mossoul…avant l’expulsion des chrétiens).

Article rédigé par Gérard-François Dumont, le 1er août  pour Liberté Politique :

Les familles chrétiennes de Mossoul ont été sommées par décret du califat islamique de quitter la ville, de se convertir ou de payer un impôt, sous peine de mort. Les chrétiens sont pourtant présents dans la région depuis l’origine du christianisme. Comment en est-on arrivé là ?

Resituons les événements actuels dans leur contexte historique. Au début du XXe siècle, les frontières de l’Irak avaient certes été redessinées par des puissances extérieures, en l’occurrence le Royaume-Uni et la France, mais le pays jouissait néanmoins d’une certaine unité nationale, du fait de l’héritage de vieilles civilisations, à l’instar de la civilisation sumérienne à l’origine de l’écriture [1].
 
Ce sentiment national existait donc du fait de la pluralité du pays qui se rejoignait dans cette unité nationale, et notamment dans sa pluralité religieuse avec à la fois les chiites, les sunnites, eux-mêmes comptant des Kurdes et des Arabes.
 
Dans cette mosaïque religieuse, l’une des communautés était celle des chrétiens, elle-même divisée en une douzaine de branches. Les chrétiens d’Irak, à l’inverse des chiites et des sunnites, étaient dispersés géographiquement sur l’ensemble du territoire. Cela signifie que toutes les grandes villes d’Irak comptaient à la fois des mosquées sunnites, des mosquées chiites et des églises correspondant aux différentes confessions chrétiennes.
 
Depuis le 1er siècle

 Il est également important d’ajouter qu’il s’agit de paroisses datant souvent du 1er siècle de la chrétienté [2].
 Par conséquent, la pluralité religieuse de l’Irak a largement permis de contribuer à l’unité nationale. C’est d’ailleurs ce que l’on a pu remarquer lors de la guerre entre l’Iran et l’Irak où l’on a vu des Irakiens de toute religion participer à cette guerre, unis dans la vie comme dans la mort. On a même vu à cette époque des irakiens musulmans et chrétiens enterrées dans les mêmes cimetières .
 
Depuis 2003, on a malheureusement assisté à un certain nombre d’attentats, tout particulièrement contre les populations chrétiennes qui par conséquent ont dû fuir.
 
À partir du moment où les populations chrétiennes sont exclues de certains territoires d’Irak, cela signifie que sont mis en place des territoires où la confrontation entre sunnites et chiites est inévitable du fait de la disparition de l’huile sociétale que représentaient les communautés chrétiennes.
 
Finalement, il est évident que les partisans de la fin de l’État irakien, à savoir l’État islamique, souhaitent que les chrétiens disparaissent de ses territoires, étant donné que ces derniers étaient les mieux placés pour assurer la réalité d’un État irakien.
 
Purification ethnique

 Les chrétiens sont donc un obstacle politique autant que religieux, et c’est pourquoi les autres communautés en souffrent inévitablement étant donné que nous sommes en pleine purification ethnique. L’exclusion croissante des chrétiens n’est en fait que le résultat de la segmentation ethnique et/ou religieuse de certaines régions, villes ou quartiers.
 
J’en veux pour preuve Bagdad : malgré ses apparences de ville unie dans sa pluralité religieuse, elle est en réalité devenue un système de purification ethnique avec des quartiers chiites, des quartiers sunnites isolés les uns des autres avec des checkpoints pour passer d’un quartier à un autre, sachant que la plupart du temps, il est impossible pour un chiite d’aller dans un quartier sunnite, et vice versa.
 
Plus globalement, à l’analyse, le Proche-Orient est dans cette logique de purification ethnique depuis un demi-siècle [3]. Pour en revenir aux chrétiens d’Irak, leur mise en fuite ne va que raviver les tensions entre chiites et sunnites, étant donné que le conflit deviendra frontal.

 
D’autant plus que lorsque l’on se rappelle l’histoire du chiisme et du sunnisme, les chiites sont historiquement nés de l’assassinat d’un certain nombre de musulmans que les sunnites considéraient comme hérétiques. Aujourd’hui encore, les grands pèlerinages chiites, à Kerbala ou à Nadjaf [4], se font auprès de tombes de certains personnages assassinés par les sunnites. La haine entre ces deux communautés est donc ancestrale et se perpétue par la purification ethnique voulue par les sunnites.
 
La responsabilité américaine
 

La situation s’est envenimée avec l’intervention des Américains en 2003 et leur intention de dominer le pays en instaurant un protectorat en méconnaissance totale de l’histoire et de la géographie de l’Irak.
 
Au lieu d’utiliser les forces qui existaient pour maintenir l’unité du pays, ils ont plutôt cherché à détruire le parti Baas au nom de la démocratie. Ils ont à la place mis les chiites au pouvoir parce qu’ils constituaient la majorité. Et les chiites ont eux-mêmes élu à leur tête une personnalité qui dédaignait les minorités, qui considérait qu’il ne fallait pas les respecter, qu’elles soient kurdes, chrétiennes ou sunnites.
 
La responsabilité de Nouri Al-Maliki est donc considérable car il a mené une politique selon laquelle la majorité dominait nécessairement la minorité. On constate le résultat aujourd’hui. Finalement, l’erreur des Américains a été moins dans l’invasion de l’Irak que dans leur manière de gouverner surtout durant les trois premières années consécutives à 2003.
 
 
 
*Le recteur Gérard-François Dumont est géographe et démographe, professeur à la Sorbonne, directeur de la revue Population & Avenir.
 
_____________________________
 
[1] Gérard-François Dumont, « Histoire et géopolitique ses territoires irakiens », Géostratégiques, n° 7.
[2] Gérard-François Dumont, « La mosaïque des chrétiens d’Irak », Géostratégiques, n° 7.
[3] Gérard-François Dumont, Démographie politique, Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses.
[4] Gérard-François Dumont, « Nadjaf, une ville-monde émergente ? », Géostratégiques, n° 34.
 
 
 

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