« Voodoo won’t save Haiti ». Cette petite phrase, et l’article qui a suivi, a créé une polémique en Haïti. Pourquoi ?
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«Voodoo won’t save Haiti». Cette phrase aurait été prononcé par le cardinal Chibly Langlois, président de la conférence des évêques d’Haïti, lors d’une interview au quotidien britannique The Guardian, le 13 juillet dernier.
Chibly Langlois n’est pas n’importe qui. Il est le premier cardinal de l’histoire de l’île. Créé par le pape François, il est issu d’un des pays les plus pauvres du monde. Car Haïti a connu une histoire douloureuse : des catastrophes naturelles, comme le séisme de 2010, aux régimes politiques instables voire dictatoriaux, tout a contribué à empêcher le développement du pays. Monseigneur Langlois est une personnalité haute en couleur et très estimée du peuple haïtien. Récemment, il est intervenu, avec la conférence des évêques, dans la vie politique haïtienne en tant que médiateur entre les institutions d’Haïti. Sa médiation a permis la rédaction d’un « accord interhaitien » entre le gouvernement, le parlement et les partis politiques du pays. Le Président de la conférence des évêques s’était porté volontaire pour cette conciliation qui avait pour but de sortir Haïti d’un conflit entre le gouvernement et l’opposition qui bloquait les réformes nécessaires. Une telle initiative est révélatrice d’une personnalité qui n’a pas peur de s’investir en faveur du bien commun.
Dans une situation où l’Eglise joue un tel rôle de médiation, la polémique née, ou créée, suite à l’article du Guardian, n’est pas anodine. Il serait regrettable qu’un différent entre le culte Vaudou et l’Eglise catholique n’affaiblisse celle-ci dans sa mission de dialogue entre les pouvoirs politiques.
La magie n’offre pas de vraies solutions
Pour dissiper les malentendus, il convient alors d’éclaircir le fond de cette polémique et de comprendre les propos du cardinal et la réalité religieuse en Haïti. L’article du Guardian n’est pas une interview, mais un reportage où une journaliste rapporte quelques phrases du cardinal et les compare à des commentaires de personnalités vaudouisantes. Littéralement, le cardinal aurait qualifié le Vaudou de « grand problème social », en liant le développement du Vaudou aux problèmes d’Haïti. Ainsi, selon lui le Vaudou « offrirait la «magie» mais pas de vraie solution à une population privée de justice et de voix politique. » La « magie » étant un ensemble de sortilèges, potions ou poisons que le Vaudou rend accessible à ses adeptes qui sont, selon le prélat, les populations pauvres d’Haïti. Cette « magie » n’offrirait pas de remède à ces gens, ce qui fait dire a Mgr Langlois : « le Vaudou ne sauvera pas Haïti ».
Une pratique en parallèle
Le cardinal constate par ailleurs que les vaudouisants sont, souvent, catholiques et pratiquent les deux religions simultanément. Il a ces propos : "L’église ne peut pas ignorer les éléments culturels et les usages du vaudou, comme le tambour, le rythme, la façon de chanter. Mais vous ne pouvez pas être vaudouisant et catholique. Le catholique doit être 100% catholique, le vaudouisant devrait être 100% vaudouisant."
La journaliste du Guardian a cité des fragments d’interview, puis elle a cité des commentaires de personnalités proche du Vaudou qui ont eu connaissance du discours du cardinal. Leurs propos à son encontre sont très sévères, comme par exemple ceux de l’anthropologue Richard Morse qui qualifie ses dires sur le Vaudou de malhonnêtes et affirme : "Si vous voulez parler des maux d’Haïti, vous devez commencer par l’esclavage, dans lequel les catholiques ont été très impliqués. Je ne suis pas sûr qu’il soit bienvenu de blâmer la victime."
Ainsi, la polémique était déjà dans l’article. Elle s’est ensuite propagée en Haïti où la plate-forme interreligieuse « Religions pour la paix » a déclaré être « attristée » de ces propos, appelant les responsables religieux à la « pondération » dans leurs discours concernant les autres confessions.
Pas de politique anti vaudou
Monseigneur Langlois a réagi par un communiqué où il conteste l’interprétation de « bribes » de ses dires par la journaliste anglaise : «Ce qui a été publié ne reflète pas fidèlement ma vision du vaudou en tant qu’élément indéniable de la culture du peuple haïtien. Je ne saurais considérer et encore moins énoncer publiquement que le vaudou est un mal social. De tels propos contrastent de façon radicale avec ma manière de proposer à tous l’Evangile, qui n’invite ni à juger ni à condamner.» Le cardinal cite ensuite longuemment le document Nostra Aetate, du Concile Vatican II, qui pose les fondements du dialogue interreligieux. Il s’inscrit pleinement dans la démarche du Concile : un dialogue fraternel avec les autres confessions, sans aller à l’encontre de l’évangélisation. Il confirme par là qu’il n’entend pas défendre une politique anti-Vaudou, comme l’avaient fait dans le passé les gouvernements haïtiens des années 1940. Rappelons que le culte Vaudou n’est plus l’objet de poursuites pénales depuis 1987, et qu’il est reconnu par l’Etat à l’instar des autres confessions depuis 2003.
Monseigneur Langlois précise aussi : « Cette conception nous fait vivre notre foi de manières diverses et nous confère une identité propre que nous devons tous assumer. En ma qualité de Pasteur, il est de ma responsabilité d’exhorter nos fidèles à demeurer attachés à la foi catholique et à la vivre sans équivoque en évitant tout amalgame.» Discrètement, avec finesse, Monseigneur Langlois rappelle à ses ouailles de vivre sa foi sans équivoque. Autrement dit, cela fait écho à cette phrase citée par le Guardian : « Le catholique doit être 100% catholique, le vaudouisant devrait être 100% vaudouisant. » En disant cela, le cardinal est dans son rôle de pasteur et cela ne devrait pas créer de polémique. Il ne fait que rappeler le message de la Bible : « Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi » Ex 20-3.
Mais il s’inscrit aussi dans le contexte haïtien. Il rappelle que 80% des haïtiens sont catholiques mais la moitié d’entre eux pratiquent le Vaudou en toute discrétion, la nuit. Cela pose un évident problème de pastorale et ce problème est lié à la structure même du Vaudou. Culte animiste originaire du Bénin, où il se nomme «Vodoun», le Vaudou Haïtien s’est progressivement construit à l’époque coloniale parmi les esclaves africains. Ce culte était le dernier lien qui leur restait avec l’Afrique. Le Vaudou, que les colons appelaient fétichisme, était interdit, et le Code noir rendait obligatoire la catéchisation des esclaves. Ceux-ci furent malheureusement peu évangélisés, les colons blancs se contentant d’organiser des cérémonies religieuses sommaires. Cette faible évangélisation cumulée à l’interdiction des cultes africains à donné lieu à un syncrétisme entre Vaudou africain et catholicisme.
Un syncrétisme haïtien
Ce syncrétisme est le Vaudou Haïtien. Il se traduit de différentes façons. D’abord, les divinités Vaudou, les Lwas, sont « masquées » en saints catholiques. Dans un « houmfort », un temple vaudou, vous verrez des images de la Vierge Marie ou de Saint Pierre. Il s’agit en fait de réprésentations de la déesse Erzulie ou de Papa Legba. Cette apparence de saints était faite pour tromper l’interdiction. Mais le syncrétisme va bien au-delà des apparences. Ainsi, le Vaudou reconnait l’existence du Dieu de la religion catholique, qu’il appelle le « Grand Maître ». Il s’agit, selon la doctrine Vaudou, d’un Dieu très lointain et trop dur à approcher. Le culte Vaudou demande à ses adeptes de s’en éloigner pour mieux se tourner vers d’autres dieux, plus petits, qui sont plutôts des esprits : les Lwas. Les Vaudouisants invoquent ces esprits dans des cérémonies qui se rapprochent du chamanisme. En transe, le vaudouisant est « chevauché » par le Lwa qui parle, bouge à travers lui. Ces esprits peuvent être bénéfiques ou maléfiques. Ainsi, le Vaudou est une religion qui pousse à quitter le Dieu des chrétiens pour se tourner vers les Lwas, les esprits…
Etre catholique pour pratiquer le vaudou ?
Mais pour cela, il faut d’abord que le Vaudouisant soit baptisé catholique, c’est un principe essentiel du culte Vaudou. Pas de baptème catholique (le protestant n’est pas valable), pas d’admission dans le culte Vaudou, comme le dit l’ethnologue Alfred Métreaux dans son oeuvre majeure de 1958 : Le Vaudou Haïtien. Et cela va au-delà du baptême. Alfred Métreaux cite maints exemples où les rites vaudous imposent certaines pratiques catholiques. Par exemple, certains vaudouisants doivent aller communier afin de « nourrir » le lwa qui les possède. Il est fréquent que les vaudouisants soient des catholiques pratiquants et cette ambivalence de pratique est très présente dans le Vaudou : cela a fait dire à un Vaudouisant interrogé par le célèbre ethnologue « il faut être bon catholique pour servir les lwas »… Métreaux a reconnu que cette citation pouvait résumer le chapitre de son livre intitulé «Vaudou et christianisme ».
Nous comprenons ainsi la préocupation du cardinal Langlois quand il parle de vivre sa foi « sans équivoque ».Il est donc légitime, pour un évêque haïtien, de soulever le problème de la double appartenance catholique et vaudoue qui concerne une part importante de ses ouailles.
Il est aussi légitime de s’interroger sur la place du Vaudou dans la société haïtienne et dans sa culture. Le Vaudou est-il un frein au développement d’Haïti ? Il est juste de se poser la question. Haïti est une terre à l’histoire douloureuse et à la situation économique difficile. Nombreux sont ceux qui se demandent pourquoi ce pays au riche patrimoine naturel et culturel, ne parvient pas à se développer. La polémique suscitée par l’article du Guardian révèle qu’il est difficile, voire impossible, de lancer un débat sur cette question. Faut-il le regretter ? Peut-être…