Comme François Hollande, Manuel Valls a reçu une éducation catholique mais il assume mieux cet héritage, explique Samuel Pruvot, rédacteur en chef à Famille Chrétienne. Entretien.
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08/04/2004
(Légende photo : Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur -et des Cultes-, à côté du cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris).
Philippe Oswald : Dans ton livre « François Hollande, Dieu et la République » (Salvator, 2013), tu as scruté la conception que le Président de la République se fait des rapports de celle-ci avec la religion. Manuel Valls a-t-il la même conception de la laïcité ou est-elle plus élaborée ?
Samuel Pruvot : Manuel Valls et François Hollande ont en commun d’appartenir au PS. Mais cela ne suffit pas pour avoir la même conception de la laïcité ! Tous les deux ont reçu une éducation catholique et ils ont fréquenté régulièrement les églises jusqu’à l’adolescence. En ce qui concerne le jeune Manuel Valls, sa sœur Giovanna a fait cette confidence à des journalistes : « Il voulait réaliser quelque chose d’important… Nous allions à la messe le dimanche. Je me suis demandé si Manuel n’allait pas faire le séminaire. » Cette anecdote (cf Manuel Valls, les secrets d’un destin, Jacques Hennen et Gilles Verdez, Editions du Moment) illustre la quête d’un jeune homme qui s’est réalisée sur le terrain politique. Il poursuivra sa quête plus tard avec le Grand Orient avant de s’en éloigner.
La différence entre Manuel Valls et François Hollande tient au fait que le premier assume mieux son passé catholique. L’actuel Premier ministre revendique la figure de son grand père catalan, catholique et républicain, qui prenait le risque de cacher des prêtres pourchassés par les anarchistes en 1936. François Hollande n’a pas fait de grandes déclarations sur la laïcité. Lors de son récent passage au Vatican, le Président n’a pas voulu prononcer un discours de synthèse, contrairement à son prédécesseur au Latran. Manuel Valls, lui, s’est penché très tôt sur la question. En 2005, il publiait un livre intitulé « La laïcité ouverte » (Desclée) pour défendre sa vision d’une « laïcité ouverte » forgée à Evry.
Y a-t-il des traces de son enfance catholique dans ses rapports avec les responsables religieux ?
On peut répondre oui sur le fond et sur la forme (même si Valls n’est plus un enfant de chœur). Pour reprendre une confidence d’un de ses proches aujourd’hui à l’Elysée, Manuel Valls ne se reconnaît pas dans l’anticléricalisme qui va de pair avec le socialisme. « Il est atypique à gauche, notamment sur la question des religions explique notre source. Très souvent, la gauche a fait preuve de dogmatisme en considérant le curé comme l’ennemi. Pour Manuel Valls, la société ne peut se construire sans prendre en considération les croyances ou les cultes. Autrement dit, l’histoire religieuse de la France est consubstantiellement liée à l’histoire de la nation. »
A Evry, Mgr Michel Dubost témoigne que « Manuel Valls a toujours fait preuve d’une grande civilité à l’égard des religieux. Il a par exemple obtenu de son conseil municipal d’avoir une place Jean-Paul II en mémoire de son passage à Evry. » L’évêque ajoute que la famille du maire était liée à celle de l’architecte de la cathédrale, Mario Botta. Ce qui facilitait aussi les choses.
Avec les catholiques, Manuel Valls est en pays de connaissance. Par exemple lors de la messe de béatification du père Brisson en 2012. Interrogé par Famille chrétienne, il assumait les racines chrétiennes de la France. Paraphrasant Marc Bloch il déclarait : « Il faut aimer aussi bien le sacre de Reims que les grands périodes de la Révolution française. La laïcité, ce n’est pas le refus des religions. »
Comment expliquer sa vindicte à l’égard de la Manif pour tous ? Serait-il « travaillé » par ses souvenirs de jeunesse ?
Son entourage explique qu’il a agi en qualité de ministre de l’intérieur, au nom du maintien de l’ordre… « Il n’a jamais eu l’intention d’orchestrer une action musclée contre la communauté catholique ! Il ne faut pas tout mélanger. L’enjeu concernait l’ordre public et pas la religion. Il y avait nécessité de maîtriser quelques éléments d’extrême droite. » Je ne pense pas que Manuel Valls cherchait à régler ses comptes avec son passé catholique. Mais on sait combien il a été dur – et parfois manipulateur – avec les manifestants. Il a sans doute voulu faire du zèle pour prouver sa loyauté au chef de l’Etat, quitte à assumer ensuite les pots cassés avec l’opinion catholique. Cette loyauté lui a valu de devenir Premier ministre.
Maintenant qu’il est Premier ministre, va-t-il s’efforcer de faire oublier ses « casseroles » de ministre de l’Intérieur auprès des cathos classés à droite (avec sa répression des anti-mariage gay) et de ceux qu'on classe à gauche (avec ses propos sur les Roms) ?
Sans doute que le Premier ministre saisira une occasion de dissiper les malentendus avec les catholiques qui restent sous le choc. Mais cette occasion dépendra de l’actualité et de ses intérêts politiques… Manuel Valls a deux visages. Comme le rapporte un fin observateur : « Valls est un homme paradoxal sur le fond et la forme. Il est brillant, cordial mais capable d’être très violent. Il s’inscrit plutôt dans le sillon Jospin-Briand, c’est-à-dire une laïcité de dialogue. Il pratique le dialogue quand il s’agit du fonctionnement Eglise-Etat et une laïcité de combat sur les sujets de société. » Si demain le sujet de l’euthanasie – il a jadis présenté une loi dans ce sens – revient sur la table, le combat pourrait mener la vie rude au dialogue !