Jérôme Kerviel vient de voir sa peine de prison confirmée. Jean-Philippe Larramendy, auteur de « Tu ne convoiteras pas. De la cupidité dans la crise actuelle” (Bayard), revient sur les ressorts de l’affaire.
Pour qu’Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l’avenir d’Aleteia deviendra aussi la vôtre.
*don déductible de l’impôt sur le revenu
En tant que spécialiste de la finance, que pensez-vous de la condamnation de Jérôme Kerviel ?
Jean-Philippe Larramendy : On ne peut qu'être interpellé par l'énormité de la sanction envisagée. Son côté surréaliste ne s'explique que par le fait que la justice estime que le seul coupable de cette affaire est Jérôme Kerviel, condamné par conséquent à couvrir la totalité des pertes de la Société Générale. Certes, toute la chaîne de commandement de la Générale a dû démissionner, y compris le président. Mais c'est parce qu'ils n'ont pas su ou pu empêcher la catastrophe, pas parce qu'ils l'ont organisée ou couverte. Toute la responsabilité est donc portée par Kerviel.
Bouc émissaire ou non ? L' affaire est complexe. La justice est saisie et la Cour de cassation rendra prochainement sa décision. Reste le cas humain, insoutenable. S'il est condamné, peut-on attendre de la Société Générale qu'elle ramène la sanction à un niveau supportable, c'est-à-dire payable par Kerviel dans des conditions humainement acceptables ?
Selon vous, qui vous êtes penché sur les ressorts de la cupidité, comment en est-on arrivé à cette crise ?
J.-P. L. : Pour qui s'intéresse à la cupidité, c'est un cas à la fois terrible et intéressant, car Jérôme Kerviel ne cherchait pas particulièrement son enrichissement personnel mais à accroître la performance d'un système fondé sur la cupidité. Benoît XVI dénonçait en avril 2009 " la cupidité comme la racine de tous les maux" et mettait clairement en évidence le lien direct existant entre la cupidité et la crise économique mondiale.
Au même moment, le prix Nobel Joseph Stiglitz publiait un livre sur la crise intitulé "Le triomphe de la cupidité". C'est l'époque où l'idéologie de la "main invisible" telle que véhiculée par Greenspan et les décisions économiques des années 80 (liquidités abondantes et dérégulation) ont atteint leur paroxysme et entrainé la crise économique. En prenant l'argent comme seule finalité de l'action, la cupidité a été érigée en idéologie et le système a explosé. La crise a éclaté et il a fallu des efforts gigantesques pour en venir à bout. Nous en subissons tous les effets aujourd'hui et ce n'est pas terminé.
Quel regard l'Eglise porte-t-elle sur la cupidité ?
J.-P. L. : Il est intéressant de retracer l'histoire de la cupidité en relisant les Ecritures. La cupidité est déjà dénoncée par les prophètes de l'Ancien Testament. Rappelons-nous les virulents propos d'Isaïe, de Michée, d'Amos, etc…). Rappelons-nous aussi, bien sûr, ces phrases de Jésus-Christ (Lc 16,13) :" Vous ne pouvez servir à la fois Dieu et l'Argent" et dans ses Béatitudes (Mt5,3): "Heureux les pauvres de coeur, le Royaume des cieux est à eux". Plus profondément, le Christ a été pauvre lui-même. La racine de cette pauvreté est à saisir dans le mouvement d'abaissement, de sortie de Dieu pour devenir homme: selon Saint Paul (Ph 2,6-8):" lui qui est de condition divine (…) il s'est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes (…) il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort, à la mort sur une croix".
La cupidité continuera d'être dénoncée par l'Eglise à travers les siècles, jusqu'à l'enseignement social de l'Eglise, avec encore tout récemment Caritas in Veritate de Benoît XVI et les propos du pape François.
Mais, au fond, que peut-on faire contre l'appât du gain ?
J.-P. L. : N'oublions pas que l'appât du gain possède un côté dynamique et positif, qui a évidemment fortement contribué, depuis l'Antiquité, au développement économique et social. Mais tout le monde comprend qu'il est essentiel de maîtriser le dérèglement de cet appât du gain. C'est précisément ce dérèglement qui constitue la cupidité. Nous connaissons la solution rappelée régulièrement par l'Eglise : remplacer l'argent-idole par la personne humaine, et mettre la dignité de l'homme au coeur de l'action économique. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire ! Ce sont les structures propres du capitalisme qui sont à revisiter. Parmi les voies intéressantes à explorer figurent toutes les formes du capitalisme alternatif, comme par exemple les formes coopératives, où la cupidité personnelle est mise de côté et remplacée par la transparence, la propriété de l'entreprise par les travailleurs-associés qui désignent leurs dirigeants, les décisions d'investissements, d'augmentations, de partage de bénéfices, voire de licenciements pris à la majorité.
Titulaire d’une maîtrise de théologie, Jean-Philippe Larramendy a écrit “Tu ne convoiteras pas. De la cupidité dans la crise actuelle”, (Bayard). Président de Tocqueville International, il est diplômé d’HEC et titulaire d'un MBA de Wharton. Il a été banquier chez Lazard dans les années 80, pionnier du Capital Investissement en France dans les années 90, puis DG d’EDF Capital Investissement dans les années 2000.