Le rabbin argentin Abraham Skorka, ami du pape François, avait abordé le sujet. Le jésuite allemand Peter Gumpel, rapporteur de la cause de béatification du pape Pie XII, nous en dit plus.Alors qe l’on commémore le 70e anniversaire de la libération des camps, certains doutes planent encore sur le rôle de l’Eglise durant ces heures sombres. Le pape François serait quant à lui prêt à ouvrir les Archives du Saint-Siège, afin de faire toute la lumière sur le rôle de Pie XII et de l’Eglise durant l’Holocauste. C’est ce qu’avait révélé le rabbin argentin Abraham Skorka, ami de longue date du pape, dans un entretien au "Sunday Times" en janvier 2014.
Quelques jours après la publication de ces révélations quant à l’ouverture des Archives secrètes du Vatican, Aleteia avait rencontré la personne qui, mieux que quiconque, connaît les Archives secrètes de Pie XII : le jésuite Peter Gumpel, rapporteur de la cause de béatification du Pape Pacelli. Appelé en 1960 à la Curie généralice de la Compagnie de Jésus, le père Gumpel a été nommé Substitut du Postulateur Général de l’Ordre, puis assistant du professeur Paolo Molinari, le Postulateur général, qui avait été nommé expert du Concile Vatican II.
En 1983, après avoir été durant 12 ans Consulteur théologien de la Congrégation pour la cause des saints, il a été nommé rapporteur par le Pape Jean Paul II.
Qu’est-ce qu’un rapporteur ? Quels droits sur les archives vous donnait cette fonction?
P. Gumpel : Le rapporteur est un fonctionnaire de premier ordre dans la hiérarchie vaticane. J’ai été affecté à la Congrégation pour les Causes des Saints, avec pour tâche de traiter 80 cas et de vérifier si, sur les plans historique et théologique, tout le matériel présenté à la Congrégation était fiable ; ou s’il y avait des lacunes et, le cas échéant, prescrire de nouvelles investigations : en bref, je devais tout contrôler. Et pour réaliser ce travail, je bénéficiais, sur ordre de Jean Paul II, d’un accès libre et illimité à la totalité des archives du Vatican, et en particulier, aux archives secrètes et à celles de la Secrétairerie d’Etat.
Quelle a été votre impression en ouvrant les archives ?
P. Gumpel : Après cet ordre du Souverain Pontife, j’ai été invité à jeter un coup d’œil à ces archives secrètes et à effectuer une première visite, accompagné d’un haut fonctionnaire du Vatican, pour voir ce qu’il y avait et me rendre compte de la situation. Lors de cette visite, j’ai vu des étagères de plusieurs centaines de mètres de long et, sur les étagères, de grandes boîtes de carton. Une ou deux ont été ouvertes, à ma demande, et j’ai pu voir ce qu’elles contenaient. J’ai trouvé un mélange de choses et matériaux hétéroclites et me suis demandé comment on avait pu en arriver là.
Voici l’explication qui m’a été donnée: durant la Seconde Guerre Mondiale, sur la période 1939-1945, arrivaient parfois au Saint-Siège environ mille lettres par jour, de contenu très disparate, très divers. A cette époque le personnel était limité, répondait rapidement. Ensuite on plaçait le tout dans ces “conteneurs”, dans l’espoir de pouvoir y mettre de l’ordre, un jour.
Mais, pourquoi ce matériel est-il resté "secret"?
P. Gumpel : Il faut savoir une chose, qui est importante : tous les Etats ont un délai dans lequel vous ne pouvez pas consulter les archives publiques : dans certains cas, 30 ans, dans d’autres 50, voire même 100 ans. Au Vatican, il n’existe aucune loi pour cela, mais il y a une règle selon laquelle le délai de communication des archives en rapport avec un pontificat est de 70 ans après la mort du souverain pontife. Autrement dit, dans le cas de Píe XII – j’étais responsable de sa cause en tant que rapporteur – les actes et procès-verbaux de son pontificat ne devaient être ouverts qu’en 2028, puisqu’il est mort le 9 octobre 1958.
Quelle est l’importance du matériel de ces archives de Pie XII ?
P. Gumpel : Beaucoup de personnes ne s’en rendent pas compte. Nous parlons de 16 millions de feuilles ! Une quantité énorme de lettres envoyées au Saint-Siège, de réponses à ces lettres, etc. Vous comprendrez que mettre de l’ordre dans ce matériel a nécessité un travail considérable. Le personnel était très limité: au cours des 20 premières années, il n’y avait que deux archivistes professionnels. Maintenant il y en a beaucoup plus, compte tenu de l’obligation de rendre ces fichiers accessibles. Et c’est ce que nous voulons, ne serait-ce que pour contrer toutes ces attaques et stupidités répandues sur ce pontificat.
Quelle période ces archives couvrent-elles ?
P. Gumpel : Les archives couvrent l’ensemble de la période de Pie XII. Si on veut comprendre ce qui s’est passé pendant la guerre, il faut aussi considérer ce qui la précède, car cela explique de nombreuses décisions prises. Il est intéressant de jeter un coup d’oeil sur les douze années durant lesquelles Pacelli a été nonce apostolique en Allemagne, et ensuite les 9 années où il a été Secrétaire d’Etat de Pie XI : Píe XI est mort en février 1939, et les procès-verbaux et les archives sont donc ouvertes. Mais qui les consulte? Quasiment personne.
Rappelons aussi que le Saint-Siège, sous le pontificat de Paul VI, a donné l’ordre de publier des documents diplomatiques relatifs à la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit de 12 volumes avec des milliers et des milliers de documents, une collection intitulée « Actes et documents du Saint-Siège » relatifs à la Seconde Guerre mondiale. Ceux-ci ont déjà été publiés : j’ai pris contact avec les trois experts qui ont participé à la préparation de ces volumes. Le premier volume a paru en 1963, et le dernier, le douzième, en décembre 1981 -autrement dit : il leur a fallu 18 ans. Ces experts ont trouvé les boîtes d’archives telles que je les ai trouvées : ils ont pris chaque document l’un après l’autre, ont sélectionné ce qui était intéressant et pour finir ont publié des milliers et des milliers de pages qui sont accessibles. Mais qui les lit ? Très peu de gens.
C’est une chose que j’ai pu constater dans des conversations privées que j’ai eues avec des professeurs universitaires, surtout en Amérique du Nord. Je me suis rendu compte que beaucoup de ces personnes ne connaissent pas ni l’italien, ni l’allemand et, par conséquent, qu’ils n’ont pas eu la possibilité d’étudier ces actes et procès-verbaux. Le français aussi leur pose problème
Nous, en tout cas, nous espérons que, dans une période relativement brève, tous les dossiers des Archives secrètes du Vatican et celles de la Secrétairerie d’Etat seront accessibles.
Comment ont travaillé les archivistes ?
P. Gumpel : Le travail consistait principalement à sélectionner, autrement dit à mettre ensemble ce qui devait l’être, car certaines questions s’étendaient sur des années, avec des documents disséminés dans plusieurs boîtes. Ensuite il fallait les classer en fonction des divers types d’affaires : certaines lettres demandaient de l’argent, d’autres des informations sur des personnes disparues, d’autres encore étaient des documents strictement diplomatiques. Donc tout un mélange de choses.
En second lieu, il existait deux possibilités : ou les relier ou les classer dans des classeurs-chemises. L’avantage de ces classeurs est que les feuilles sont volantes et plus faciles à photocopier. Dans les classeurs-chemises, il faut attribuer au matériel une numérotation qui permet au chercheur de trouver facilement ce qu’il recherche. En outre – et c’est un travail colossal – il faut établir un index des dizaines de milliers de noms qui sont mentionnés: il s’agit d’un premier index, un index de personnes, qui me permet de vérifier assez facilement si une personne X a eu des contacts avec le Saint- Siège, et pourquoi.
Ensuite il y a un deuxième index C: par diocèses, par pays, etc. Grâce auquel on peut savoir si un diocèse a eu des contacts avec le Saint-Siège au cours de cette période, ce dont il s’est agi, quelle a été la réponse, etc. Enfin, le troisième index est thématique: selon les sujets, on peut connaître les réponses du Saint-Siège aux différents gouvernements, les prises de position essentielles. Tout cela nécessite beaucoup de temps.
Le travail se poursuit-il encore sur ces sujets ?
P. Gumpel : Oui, et il avance bien. Je demande régulièrement au préfet des Archives secrètes, Mgr Sergio Pagano, « quand êtes-vous prêt ? ».” Il est, bien sûr, très prudent et ne veut pas fixer un jour déterminé, mais sans préciser la date exacte de l’ouverture des archives, on peut penser que c’est pour bientôt.
Cela fait maintenant trente ans que vous avez pu accéder à ces archives ?
P. Gumpel : Oui, immédiatement après avoir été nommé rapporteur, j’ai convenu avec les quelques archivistes d’alors, avec qui j’entretenais des rapports très cordiaux, et aussi parce qu’ils savaient que le Pape me l’avait demandé, que s’ils trouvaient au cours de leur travail des choses susceptibles de m’intéresser, ils m’enverraient une copie du document. Ce qu’ils ont fait régulièrement, de sorte que – au fur et à mesure que le travail avançait – j’ai pu travailler à la « Position » que nous avons présentée en 2004.
Par conséquent, nous n’avons pas été bousculés. Parfois les postulations ont été rapides, mais je n’ai jamais aimé ça. Je suis historien de profession: il faut examiner une question l’une après l’autre afin de parvenir à une certitude scientifique absolue. Dans ces archives, il n’est rien que je n’aie pas vu : le postulateur, le professeur Molinari, et moi-même, avons voulu examiner chaque chose à fond, afin de présenter ensuite la cause à la Congrégation et de la soumettre aux trois discussions: d’abord la soumettre aux théologiens, et pour finir aux cardinaux et évêques de la Congrégation. 13 votants ont donné à l’unanimité un avis extrêmement positif et ont conseillé le Pape d’alors, aujourd’hui le pape émérite Benoît XVI, de procéder à la publication du décret des vertus héroïques de Pie XII, qui ouvre la voie à la béatification du Pape Pacelli. Benoît XVI, pour qui j’ai beaucoup travaillé lorsqu’il était Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a tenu à considérer la question en personne, car il existait un certain nombre d’oppositions à la cause de béatification.
De qui venaientces oppostions, en particulier ?
P. Gumpel : Ces oppositions provenaient principalement de trois sources : tout d’abord des communistes, qui ont fait une grande propagande, répandant des quantités de fausses rumeurs contre Pie XII : les Russes soviétiques en particulier, mais aussi les communistes italiens, bien que dans une moindre mesure. Ensuite la franc-maçonnerie, en grande partie très anti catholique.
Le troisième groupe, et c’est douloureux pour moi, ce sont quelques groupes juifs. Cependant, quand on parle de grands groupes de personnes d’une nation, d’une religion, etc. il faut toujours opérer une distinction : j’ai reçu la visite de 800 rabbins, très fidèles à la loi de Moïse, qui m’ont dit : « Nous n’avons rien à voir avec ces attaques contre Pie XII, nous savons qu’il a sauvé des milliers et des milliers de personnes. Nous lui en sommes reconnaissants”. Mais il y a des Juifs, souvent athées, qui ont lancé une campagne, comme quoi le Pape n’a rien fait, et allant à l’encontre des affirmations de nombreux notables juifs. Pour ne citer qu’un exemple, Martin Gilbert, qui est considéré comme le plus grand spécialiste de l’Holocauste, est en faveur de Pie XII à 100%.