Ce que doit savoir et discerner un catholique quand il lit les paroles du Pape rapportées dans un média.
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09/12/2013
A l’ère de la communication globale, (.. .) jamais le pape n’a été un tel objet d’observation. Son passé, ses habitudes, ses chaussures, les gens qu’il salue, ce qu’il dit et cesse de dire, ce qu’il mange , son état de santé, son agonie et sa tombe … tout est exposé au public et scruté comme jamais auparavant.
Ce phénomène déconcerte souvent un peuple chrétien qui, en seulement deux générations, a vu tout à la fois s’agrandir et “se désacraliser” une figure dont, jadis, seules les proclamations et les discours officiels étaient connus : du Pape on sait maintenant quasiment tout, et par les médias traditionnels, autrement dit filtré, selon des critères professionnels, non religieux, par des personnes qui peuvent ou non partager la foi chrétienne.
Si en plus, les derniers papes, conscients de l’importance de la communication, se lancent dans le « village global » sans intermédiaires, comme le fait le Pape François en se laissant interviewer par différents médias, et que le journaliste interprète en fonction de ses propres critères le matériau obtenu, le désarroi peut être à son comble.
C’est ce qui s’est passé lors de l’entretien du Pape François avec Eugenio Scalfari et le quotidien italien de gauche La Repubblica. Dans cette situation, d’ailleurs inévitable si l’Eglise veut être dans les médias, les catholiques devraient être mieux formés pour opérer un discernement sur l’information qu’ils reçoivent, même sur le pape. […]
Sur cette question, Aleteia a interrogé le père Ramiro Pellitero, professeur de théologie à l’Université de Navarre, expert en ecclésiologie et théologie pastorale, membre de la Catholic Theological Society of America.
– L’entretien du Pape avec Eugenio Scalfari a fait polémique : certaines citations utilisées par le journaliste ne correspondaient pas exactement aux expressions du Pape. Cette affaire montre la position délicate d’un pontife, dont les paroles sont suivies par des millions de personnes. Tout ce que dit un pape est-il infaillible ?
L’entretien auquel vous faites allusion a été éliminé de la page web du Vatican, après qu’ on a vérifié qu’il ne reflétait pas exactement les paroles du Pape, et même qu’avaient été ajoutées des questions qu’il n’avait pas évoquées. Comme vous le soulignez à juste titre, nous connaissons aujourd’hui ce nouveau phénomène de la communication mondiale et immédiate des paroles d’un Pape.
Pour répondre à votre question, je dois dire que, bien sûr, tout dans ce que dit un pape n’est pas infaillible. Tout d’abord, seul Dieu est infaillible. L’Eglise participe de l’infaillibilité divine dans certaines conditions qui sont, selon la tradition de l’Église même : les déclarations d’un concile œcuménique présidée par le Pape, la définition «ex cathedra» d’un pape, lorsqu’il proclame un nouveau dogme, l’enseignement des évêques en communion avec le Pape ; ce qui appartient à la foi du peuple de Dieu (le « sensum fidei » «sens de la foi» ou «sens des fidèles») en communion avec leurs pasteurs.
– Nous sommes passés d’une tradition millénaire de communication mesurée à une surexposition médiatique des Papes, ce qui les rend de plus en plus proches, voire plus «humains», mais moins «sacralisés» que par le passé. Toutefois, cela ne signifie pas que le pape soit moins infaillible dans ses prises de position. Comment faut-il comprendre cette nouvelle situation?
En dehors des conditions dans lesquelles il est infaillible, le Pape reste toujours l’évêque de Rome, successeur de saint Pierre, et tous ses enseignements doivent être entendus par les catholiques avec le plus grand respect et considération.
Les proclamations papales contenues dans des documents tels que des encycliques, exhortations, etc., auront une valeur doctrinale plus ou moins grande en fonction de leur relation avec les vérités de la foi chrétienne.
Ses déclarations dans des livres ou interviews, en ce qui concerne les vérités de la foi proclamées par l’Église en tant que telles sont d’une valeur plus différente encore. Mais dans ces cas, comme pour Jean-Paul II et Benoît XVI, le pape s’expose à la critique (notamment une critique saine et constructive) des experts dans les différents domaines, et même de toute personne raisonnable.
– Pour être aussi précis que possible dans la présente affaire: les paroles du Pape dans un média relèvent-elle du magistère pontifical?
Ce que je suis en train de dire ne signifie pas que ce que le Pape dit dans ce média ne doit pas être écouté avec un respect particulier, notamment par les catholiques, et comme référent moral de plus en plus reconnu partout.
Surtout, comme je l’ai souligné, nous devons considérer ce qu’on appelle le «lien des mystères» et la «hiérarchie des vérités». Cela signifie que toutes les vérités de la foi ou de la morale chrétienne sont liées, mais n’ont pas toutes le même poids. Ainsi, il y a des vérités plus centrales (l’existence d’un Dieu trinitaire, la divinité du Christ ou la valeur salvifique de sa passion et de sa mort, etc.) ; et puis il y a d’autres vérités, qui sans cesser de l’être, sont "secondes" par rapport aux précédentes.
Il faut aussi distinguer entre ce qui est substantiel et immuable dans la foi, la liturgie et la vie chrétienne, et les différentes expressions qui peuvent se manifester à différentes époques et lieux.
– Peut-être l’un des problèmes est-il la compréhension de ce qu’est l’opinion publique au sein de l’Eglise, en particulier chez les chrétiens. Peut-il ou doit-il exister une opinion publique dans l’Eglise? Quelles en sont les limites?
Surtout depuis l’époque de Vatican II, on parle de la nécessité d’une «opinion publique» au sein de l’Église. Si l’on comprend bien les termes de la question, il s’agit de quelque chose de sain et souhaitable, mais qui a ses limites.Et les limites sont dans la révélation chrétienne. Si quelque chose appartient clairement à la révélation et, comme telle, a été déclarée par l’Église, il convient de continuer à approfondir et développer son contenu, mais seulement dans la même ligne.
– Si Jean-Paul II a été un pape de la télévision, si Benoît XVI a écrit des livres et tweeté, le pape François, pour ainsi dire, dépasse de loin les attentes avec son style libre et décontracté ainsi que son style pastoral communicatif. Même en dehors de ses homélies ou catéchèses, le Pape ne cesse pas d’être un maître dans tous ses gestes et ses mots. Quelle place ceux-ci ont-ils dans le magistère pontifical?
Dans la continuité de ce que j’essaie d’expliquer, à mon avis, il s’agit (il ne pourrait en être autrement) d’enseignements du pape, visant à transmettre la Parole de Dieu.
Il faut, je le redis, discerner le genre de chaque intervention: la constitution d’un Concile est très différente d’une encyclique, et à un autre niveau se situent les homélies et la catéchèse.
Plus loin encore, il y a les livres, articles ou interviews du Pape, qui sont des façons différentes, et aujourd’hui novatrices, de communiquer ses enseignements. Il s’agit d’un nouveau genre qui a ses avantages (atteindre un plus grand nombre et plus immédiatement) et quelques inconvénients, comme on le voit déjà. Au Pape d’abord, à ceux qui l’aident dans la pastorale de l’Église et à ses conseillers en communication, d’évaluer les avantages et les inconvénients, pour choisir et agir au mieux dans chaque cas.
– Vient de paraître le premier document officiel du pape François. Il parle de «rénover les structures », de "conversion pastorale", y compris de la papauté même, et "ne pas avoir peur de revoir les coutumes» qui ont été utiles à un moment, mais qui maintenant ne sont pas les mieux adaptées à l’évangélisation. Doit-on comprendre que cela inclut la communication?
Une exhortation apostolique comme «Evangelii gaudium», surtout après un Synode universel, a une grande valeur, égale ou supérieure à une encyclique, dans l’ensemble des enseignements d’un pape ; ce qui ne veut pas dire qu’elle ait même valeur que les dogmes déjà déclarés par l’Église. En outre, cette exhortation a un sens programmatique.
Les expressions que vous évoquez sont des propositions que le pape présente avec toute sa force de pasteur et de maître, même si, encore une fois, elles ont des valeurs différentes, également au sein du même document, selon les thèmes qui relèvent des noyaux de la foi ou de la vie chrétienne.
En ce qui concerne le cas spécifique de la communication, dans ce que le Pape fait, d’abord, et qu’il dit, on peut comprendre qu’il propose aussi un certain changement de style.
En bref, c’est un discours qui combine « parler » et « écouter » ¬le Pape écoute, et beaucoup – pour témoigner de la Tradition chrétienne, et cette tradition emprunte de nombreux chemins. Il nous enseigne ainsi la valeur du témoignage, de vie et de parole, que devraient donner tous les chrétiens pour témoigner de leur foi, conjugué avec un souci efficace des autres, en particulier les pauvres et nécessiteux.