A l’heure où l’obligation du respect de la fidélité conjugale semble se vider complètement de son sens, le Conseil Pontifical pour les Laïcs analyse le pouvoir « humanisant » de cette vertu.
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Gabriella Gambino
Généralement la fidélité indique l’attitude de cohérence et de constance dans l’adhésion à une valeur idéale de l’amour, de la bonté, de la justice. Cela peut être entendu également comme un engagement par lequel une personne s’attache à une autre personne pour que leur lien soit stable et mutuel. En d’autres mots, la fidélité ne comporte pas seulement l’adhésion à une valeur abstraite, mais peut indiquer aussi la volonté et l’engagement envers une personne, comme dans la relation d’amour.
En tant que telle, la vertu de fidélité a toujours trouvé son expression humaine la plus parfaite dans la fidélité entre époux, à travers l’exclusivité et l’unicité de la relation d’amour consacrée par le mariage.
Au bout de la remise en cause, une fracture
Malheureusement, avec la modernité, les habitudes et les usages qui se sont répandus ont beaucoup de peine à comprendre l’extraordinaire pouvoir humanisant de cette vertu. La fidélité a la capacité de réaliser pleinement la dimension éthique et spirituelle de la personne, qui -quand elle est fidèle- peut vivre de façon cohérente la vérité et la liberté, la vérité et l’amour. En particulier, la remise en cause quasi automatique des valeurs traditionnelles du mariage, qui a émergé de façon significative avec la révolution sexuelle de la fin du vingtième siècle, a produit non seulement une fracture radicale entre la sexualité et le mariage, mais en jetant les bases d’une sexualité fluide et réduite à la dimension du plaisir, elle a privé aussi la relation de l’amour conjugal de sa capacité d’être fidèle à la personne aimée.
Le problème, si on l’observe bien, est déjà très généralisé : dans la réflexion philosophique moderne et contemporaine, le thème de la fidélité a pratiquement disparu, à part quelques rares cas dans la morale kantienne, qui réduit la fidélité au respect pour l’impératif, ou chez J. Royce, qui la ramène à la “dévotion d’une personne pour une cause” (The philosophy of loyalty, 1908). En effet, dans la morale commune, la fidélité est souvent perçue comme un devoir abstrait et un fardeau, qui réduit la liberté de la personne, et la contraint à renoncer à d’autres possibilités qui pourraient se présenter à elle au cours de l’existence.
Dans les évolutions plus récentes du droit de la famille aussi, l’obligation du respect de la fidélité conjugale a été complètement vidée de son sens. En Italie, par exemple, bien que l’art. 143 C.C. fasse dériver de la célébration du mariage l’obligation réciproque de la fidélité entre époux, toutefois la simple violation de ce devoir, c’est-à-dire l’adultère, n’est pas suffisante pour justifier l’accusation du conjoint responsable pour la séparation, à moins de pouvoir démontrer avec des preuves concrètes qu’à cause de cela, la vie en commun est devenue impossible.
La banalisation du divorce
Dans ce contexte aussi, la norme civile en matière de divorce a subi un changement significatif, qui a rendu encore plus fragile l’union conjugale et toujours moins importante la valeur de l’engagement dans la fidélité. Si, en fait, jusque dans les années Soixante, la violation de la fidélité conjugale comportait le droit d’obtenir le divorce par faute de la part du conjoint offensé, avec pour conséquence l’implication de la responsabilité de l’autre conjoint, dans les ordonnancements actuels un tel concept a pratiquement disparu. En effet, aux États-Unis comme en Europe, l’abandon du système du divorce par faute (et la conséquente introduction du divorce sans accusation de faute) établissent un contexte juridique et culturel qui s’accorde avec l’idée du divorce unilatéral comme un droit constitutionnel individuel. Si la cause objective du divorce est devenue insignifiante (dans ce cas la violation du devoir de fidélité), seule compte la volonté subjective de celui qui veut divorcer.
La discipline du mariage et du divorce reflètent ainsi la réflexion juridique récente, de matrice libérale, qui tend à réduire le mariage à un contrat, à la simple union volontaire de deux personnes qui désirent se marier et qui durera juste le temps que celles-ci désirent être mariées.
Ainsi, quand les juristes parlent de “privatisation du mariage”, le terme privatiser peut vraiment faire référence à sa propre origine étymologique, comme priver : vider de quelque chose une réalité qui était porteuse de caractéristiques et de qualités intrinsèques, qu’à présent elle ne possède plus.
Pourtant, si la fidélité a toujours été l’instrument choisi par le droit pour garantir l’exclusivité de la relation d’amour et la stabilité de la famille qui peut en dériver, il y a certainement une bonne raison à cela. Au fond le droit sert à garantir la sécurité de la coexistence, la certitude et la justice dans les rapports humains, surtout dans ces rapports – desquels peuvent naître de nouveaux individus- que le droit reconnaît à travers le mariage et la famille.
La fidélité et le bonheur
Quelle est donc la portée anthropologique de la fidélité ? Pourquoi le droit la considère-t-il comme un devoir, même fragile aujourd’hui ?
Dans la théologie chrétienne, la fidélité de Dieu le Père à sa promesse de salut pour ses fils est l’expression maximale de Son amour pour nous, un amour fort, durable, définitif, qui s’offre en don et ne demande qu’à être accueilli, et non pas mérité. Mais pour la modernité, au contraire, la fidélité semble liée au fait que celui qu’on aime doit mériter cet amour. Par conséquent, quand il se comporte de manière à ne plus le mériter, le lien de fidélité est dissout.
Pourtant la fidélité comme valeur humaine peut être vraiment comprise à partir du moment où on la considère comme une vertu morale dans l’amour et, en particulier, dans l’amour conjugal indissoluble, dans lequel celle-ci est nécessairement liée à la dimension du temps. Le temps comme la durée de toute la vie, qui donne ainsi à la personne la possibilité d’accomplir et de réaliser son projet de bonheur au cours de l’existence.
Pour comprendre cet aspect extraordinaire de l’amour conjugal fidèle et indissoluble, il est nécessaire de s’arrêter un moment pour réfléchir à comment naît et se consolide l’amour entre deux êtres humains.
Tomber amoureux et vouloir aimer
Comme le raconte depuis toujours la littérature romantique, c’est un fait indéniable que l’amour vrai conduit l’amant à ne désirer seulement que l’être aimé d’une manière exclusive et définitive. Il n’y a pas d’amoureux qui ne se jurent un amour éternel.
Mais entre être amoureux et aimer fidèlement il y a certains passages que les amants doivent accomplir pour arriver à s’offrir eux-mêmes dans une sphère beaucoup plus grande qu’eux, une atmosphère dans laquelle leur amour réciproque puisse respirer et vivre, en se nourrissant de la liberté réciproque et de la volonté d’être fidèles à cet amour pour toujours.
De cela on peut dire que l’image employée par K. Wojtyla dans la pièce de théâtre La boutique de l’orfèvre est extraordinaire : les anneaux nuptiaux, symbole non seulement de l’amour, mais aussi de la fidélité, sont forgés par l’Orfèvre (Dieu) ; en ce sens, ils ne représentent pas seulement la décision des époux de rester ensemble, mais leur amour est durable et fidele parce qu’il est soutenu par l’amour de Dieu. Leur amour et leur fidélité sont forgés et protégés par Lui, ils transcendent les époux eux-mêmes. Ce n’est pas par hasard, comme nous l’a rappelé récemment aussi le Pape François dans la Lumen Fidei
, que dans la Bible la fidélité de Dieu est indiquée par le mot hébreu ’emûnah (du verbe ‘amàn), qui dans sa racine signifie "soutenir". On comprend donc pourquoi l’effet de la fidélité soit la possibilité de vraiment construire le rapport conjugal sur le "roc".
Du reste le sacrement du mariage constitue en soi une force qui soutient les époux et leur volonté respective de demeurer ensemble dans la fidélité, dans le respect de l’amour promis, non seulement comme sentiment, mais encore plus comme adhésion à une vocation conjointe, qui justement dans le mariage trouve l’instrument pour porter ensemble le même joug, en marchant au même pas, tout au cours de l’existence.
Pour examiner de plus près la structure anthropologique de la dynamique de la fidélité dans l’amour, il faut partir de l’idée que la dynamique affective, en tant qu’êtreamoureux de la personne (apprendre à l’aimer), passe à travers différents niveaux qui s’entrecroisent dans un processus de maturation qui exige un engagement personnel croissant.
De l’amour romantique à l’amour de connaissance
Repris également dans la terminologie de Saint Thomas en rapport à l’amour, ces niveaux vont de la première apparition de l’objet aimé dans la sphère existentielle de l’amant, produisant des émotions immédiates – la phase de l’amour romantique, durant laquelle le temps semble échapper aux amants, toujours plus désireux d’être ensemble et de passer ensemble le plus de temps possible – jusqu’à la connaissance affective de l’être aimé, qui se révèle comme celui qui a la capacité d’aimer. La relation commence alors à se transformer en une promesse, l’anticipation d’un amour plus grand.
Maintenant le temps n’est plus l’adversaire de l’amour et de ses émotions, comme dans la phase romantique, mais il fait partie de la réalité même : l’affectivité a besoin de temps pour mûrir et réaliser tout ce qu’elle contient. Un chemin se profile dans la relation qui est l’anticipation du projet de perfection future. On veut le bien de l’être aimé pas seulement pour ce qu’il est à présent, mais pour la merveille qu’il peut devenir et à laquelle il parviendra au cours de son existence. « Fondés sur cet amour, l’homme et la femme peuvent se promettre l’amour mutuel dans un geste qui engage toute leur vie […]. Promettre un amour qui soit pour toujours est possible quand on découvre un dessein plus grand que ses propres projets, qui nous soutient et nous permet de donner l’avenir tout entier à la personne aimée ». (François, Lumen Fidei, n. 52).
Ce niveau est appelé con-formation, parce qu’à ce niveau, la relation d’amour fait changer de forme à l’amant et elle se réalise à travers l’harmonie affective et le plaisir réciproque, c’est-à-dire dans la formule “il est bon que tu existes”. Le plaisir est le premier moment conscient de l’amour dont tire son origine la liberté comme acceptation de l’être aimé. Il implique un engagement avec celui-ci, comme s’il était une seule chose avec soi, et fonde le sentiment interne d’obligation, pour qu’il puisse en surgir d’autres actions dues envers l’être aimé.
« Fidélité créatrice »
C’est à ce moment que se configure l’importance de la fidélité comme réponse à une personne et non pas comme un strict volontarisme. Une fidélité comme une vertu, pleinement réalisée dans la vie concrète, et construite sur l’intégration entre amour et sexualité, et non pas comme la simple adhésion à un amour spirituel, séparé de la prudence et de l’affectivité charnelle, qui pourrait tout autant s’adresser ailleurs. En ce sens, la conscience vertueuse doit insister sur l’intégration affective avec une “fidélité créatrice” (G. Marcel), capable de régénérer constamment le plaisir amoureux entre les amants afin qu’ils restent unis.
La dynamique affective conduit ainsi à une ouverture sur la raison, à une intention unitive des amants, qui réalise la persévérance de l’amour en disposant à la communion des personnes comme une réalité permanente. La liberté structure, à partir de ce moment, l’action de l’amant, et la vérité de l’amour acquiert ici une valeur spécifique, puisqu’elle tentera de promouvoir une communion qui sera vraie ou fausse selon la capacité d’actualiser cette relation. « En aidant les hommes à aller au-delà […] de leurs sensations subjectives, la vérité leur permet […] de se rencontrer dans la reconnaissance de la substance et de la valeur des choses. La vérité ouvre et unit les intelligences dans le lógos de l’amour ». (Benoît XVI, Caritas in Veritate, n.4). Vérité et fidélité iront de l’avant de façon conjointe, et la diminution de la volonté de réaliser la relation sera une seule chose avec le manque de fidélité envers l’être aimé.
La vérité du don définitif et exclusif dans la confiance
Dans la fidélité donc, le rôle de la raison est décisif. Celle-ci aide constamment l’amant à discerner la vérité de l’affectivité en relation au sens de l’action qu’il accomplit. Le but de la fidélité est la communion qui requiert le don de soi, parce que le don n’est pas la cause de l’affectivité, mais de l’amour libre et conscient.
Ainsi, la liberté n’est pas la recherche du plaisir, sans jamais parvenir à une décision, mais c’est la capacité de se décider pour un don définitif et exclusif. Seul celui qui peut promettre pour toujours démontre qu’il est maître de son avenir, qu’il le tient entre ses mains et le donne à la personne qu’il aime.
On comprend donc pourquoi le contenu de la fidélité est la confiance : confiance en l’avenir et en l’autre, auquel on fait don de soi. Au contraire, ce qui paralyse et rend esclave c’est la peur de s’engager car, au fond, c’est cela qui prive de la liberté et de la capacité de la raison de suivre le cœur.
Malgré le parcours d’indifférence qui marque la valeur de la fidélité dans le droit et dans la morale commune, il reste le fait que la fidélité soit une authentique forme d’expression de la force, de la cohérence et de l’espérance dont est capable l’être humain : dans le choix d’une personne, la fidélité est aussi la libre obéissance consciente à l’idéal qu’on s’est choisi, et à la promesse qu’on s’est faite. Pour cela, le droit, en tant que ius, l’a toujours considérée comme une expression de la justice entendue non seulement comme l’adhésion aux valeurs de la confiance et de la loyauté, mais avant tout comme respect de l’autre et de la coexistence sur le chemin solide et stable que l’homme et la femme, dans le mariage, décident de parcourir ensemble vers la pleine réalisation réciproque et le bonheur.
Pour ces raisons la fidélité a un sens anthropologique indéniable et un extraordinaire pouvoir d’humanisation, capable de développer pleinement les ressources et la richesse intérieure de chaque être humain.
Source: http://www.laici.va/content/laici/fr/sezioni/donna/tema-del-mese/settembre—ottobre-2013.html
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