Même tension extrême, même risque de dégénérer en guerre mondiale … Invitation à relire le testament spirituel de Jean XXIII
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« Pour nous, la mission même de l’Eglise est d’être porteuse de la paix où nous nous trouvons. Ce n’est pas un devoir supplémentaire, c’est de la nature même de l’Eglise », déclarait il y a un peu plus d’un an le cardinal Peter Turkson, président du Conseil pontifical Justice et Paix, à l’occasion d’un séminaire international. C’était un moment de grande inquiétude pour la paix dans le monde, notamment pour la Syrie, plongée déjà dans la situation qu’on lui connaît aujourd’hui.
Le cardinal, Turkson, à cette occasion, rappelait les valeurs mises en avant par le pape Jean XXIII dans l’encyclique « Pacem in terris » dont l’Eglise fête cette année les 50 ans.
Nom complet du document : « Lettre encyclique sur la paix entre toutes les nations, fondée sur la vérité, la justice, la charité, la liberté ». Quant la lettre est publiée, la tension entre les deux principaux protagonistes de la guerre froide est alors à son comble. Dans le monde, certains craignent même l’arrivée imminente d’une 3e guerre mondiale.
Aujourd’hui comme hier, « Pacem in Terris » constitue une vraie synthèse sur laquelle pourrait s’appuyer toute relation internationale régie par le dialogue et non par un rapport de forces.
Et note importante : Il ne s’adresse pas seulement aux catholiques mais à tous les hommes de bonne volonté.
Dans ce document, Jean XXIII ne se contente pas d’un appel à éviter les conflits, il demande le respect des droits de l’Homme et des devoirs moraux, explicite les liens entre l’individu et l’État, plaide pour le respect d’une certaine égalité entre les nations et pour que l’État ne soit pas exonéré des droits et devoirs qui s’appliquent à l’individu.
En cette heure de crise profonde, où toute l’attention est centrée sur la Syrie et que la menace d’une intervention militaire occidentale se fait de plus en plus probable, voici une relecture des enseignements du document par l’historien et spécialiste des relations internationales Yves Bruley, interrogé par Radio Vatican, à l’occasion des 50 ans du document, en avril dernier :
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Yves Bruney : L’encyclique Pacem in terris est sortie en pleine période de guerre froide qui a failli dégénérer en 3ème guerre mondiale et en guerre atomique. Le même jour, le 16 octobre 1962, il s’est passé dans le monde deux évènements considérables : l’un dans la basilique Saint-Pierre avec la première séance du concile Vatican II, et l’autre à Washington, où le président Kennedy découvre l’information selon laquelle les Russes sont en train d’installer des fusées à Cuba, c’est à dire à 150 kms du territoire américain.
Dans les journées qui suivent et qui correspondent au tout début du Concile, on a une crise internationale … Jamais vu de scenario aussi cauchemardesque depuis la Seconde guerre mondiale. On est au bord de la guerre atomique.
C’est donc dans ce contexte que Jean XXIII prend conscience de la nécessité d’intervenir et décide d’écrire un texte qui sera l’encyclique « Pacem in terris ».
Q : Comment se structure l’encyclique, quels sont les buts ?
Yves Bruney : Dans ce contexte dramatique, le pape veut rappeler qu’il faut refonder les relations internationales sur des bases plus saines. Il rappelle qu’il y a des droits et des devoirs pour les Etats comme pour les individus, et qu’il faut réinjecter des principes moraux dans les relations internationales.
Le second point : il insiste sur le fait qu’on n’aura pas la paix s’il n’y a pas aussi le développement, et en cela, il établit un pont entre les questions internationales et les questions sociales. C’est un point très important dans le contexte de l’époque !
Le communisme se nourrit bien sûr des situations de sous-développement et de pauvreté. Donc le pape fait le lien entre la question du développement et la question de la paix.
Troisième point : – et là c’est la participation de Jean XXIII à l’effort de détente qui suit la crise des fusées de Cuba – il invite les catholiques à collaborer, à discuter avec les non catholiques, et même les chrétiens avec les non chrétiens, sur les questions de paix et d’intérêt général. Et ça, c’est une nouveauté et une main tendue au monde communiste. D’ailleurs Kroutchev l’a parfaitement compris à Moscou, et il y aura une tentative de rapprochement avec le Vatican à ce moment-là.
L’idée est que si le bloc communiste est fondé sur une erreur, il faut distinguer la personne qui commet l’erreur et l’erreur elle-même : la personne peut toujours revenir vers la vérité et donc il faut collaborer, il faut discuter avec elle. Et ça, c’est la participation du Vatican à un effort de détente après la crise des fusées.
Q : Est-ce que cette invitation au dialogue adressée à tous les hommes de bonne volonté par Jean XXIII n’est pas l’expression de l’ ouverture de l’Eglise catholique au monde moderne ?
L’encyclique Pacem in terris est adressée aux évêques et au monde catholique, mais aussi à tous les hommes de bonne volonté – le pape l’indique très clairement. Elle s’inscrit dans l’effort d’ouverture au monde qui est celui du Concile Vatican II.
Les deux évènements sont tout à fait concomitants et coïncident parfaitement, avec en plus, un enjeu politique, c’est à dire que le pape espère qu’en établissant de meilleurs relations avec Moscou, la vie des catholiques de l’Europe de l’Est et même de Russie, se sera améliorée, qu’il y aura un desserrement des conditions extrêmes qui existent à ce moment-là.
En cela, il est prophétique : justement ces Eglises ont pu vivre malgré la tyrannie communiste et cela prépare ce qui arrivera 25 ans plus tard, dans les années 80.
Les valeurs mises en avant dans l’encyclique « Pacem in terris » de Jean XXIII, sont donc des valeurs de bases : le pape, plutôt que de se mêler de la crise des missiles de Cuba, a choisi de parler des principes de base.
Comme a dit un jour l’archevêque de Dijon, Mgr Roland Minnerath, toujours sur Radio Vatican, « la vision de Pacem in Terris est un processus continu qui a besoin d’être discerné dans l’épaisseur de l’histoire ». Et surtout : « le développement social et scientifique, pour être valable, ne doit jamais perdre de vue la centralité de l’être humain ».