Pour décrypter la crise égyptienne et les déchirements actuels du monde arabo-musulman, rien de tel que de relire le fameux discours de Ratisbonne et quelques textes associés.
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Ce conseil est notamment donné par le célèbre vaticaniste italien Sandro Magister sur le site chiesa.espresso.repubblica (1) : pour lui, « jamais aucun pape avant Benoît XVI n'avait fait preuve d'autant de clarté et de courage dans la mise en évidence des racines de la violence dans l'islam. »
Pour identifier ces racines, Sandro Magister renvoie d’abord aux premiers paragraphes du discours prononcé par Benoît XVI le 12 septembre 2006 dans le grand amphithéâtre de l'université de Ratisbonne. Le Pape -devenu le pape émérite- y mettait en effet le doigt sur ce qui reste un grand tabou non seulement pour les musulmans mais jusque dans l’Eglise s’agissant de l’islam : la fragilité du lien entre foi et raison dans la doctrine musulmane.
« Aucun pape avant Benoît XVI n’avait jamais eu la clarté de vision et le courage nécessaires pour formuler un jugement aussi net sur l'islam ou pour exprimer avec autant de rigueur la différence qui existe entre l’islam et le christianisme. » souligne Sandro Magister. Qui ajoute :
« Benoît XVI a été très critiqué au sein de l’Église catholique pour avoir fait preuve d’une telle audace. On l’a accusé d’avoir détruit le "dialogue" avec le monde musulman.
En réalité, deux mois à peine après Ratisbonne, le pape Ratzinger se recueillait en une prière silencieuse à la Mosquée Bleue d’Istanbul. Et il a pu accomplir ce geste –incompréhensible autrement – justement parce qu’il avait exprimé clairement sa pensée à ce sujet.
Et c’est précisément du discours de Ratisbonne qu’est né ce germe de dialogue islamo-chrétien qui a trouvé une expression dans la "lettre des 138 sages" écrite au pape par des autorités musulmanes d’orientations diverses. »
On se souvient du succès inespéré, du voyage de Benoît XVI en Turquie, à l’automne 2006, quelques semaines après le « scandale » du discours de Ratisbonne. C’est au cours de ce voyage que Benoît XVI donna en quelque sorte la pointe de sa pensée en déclarant que le monde musulman devait aujourd’hui accomplir un cheminement comparable à celui du christianisme au cours des deux derniers siècles jusqu’à l’entier dénouement du problème par le Concile Vatican II, en accueillant « les véritables conquêtes de la philosophie des Lumières, les droits de l’homme et en particulier la liberté de la foi et de son exercice ».
On retrouve cette idée que la foi chrétienne implique le respect total de la conscience (un point déjà mis en pleine lumière par Newman à la fin du XIXe siècle) et le refus de la violence dans les propos du pape François lors de l’Angelus du 18 août :
« L’Évangile n’autorise pas du tout l’utilisation de la force pour répandre la foi. C’est précisément le contraire : la vraie force du chrétien, c’est la force de la vérité et de l’amour, qui implique de renoncer à toute violence. Foi et violence sont incompatibles ».
Mais relisons à présent quelques extraits du Discours de Ratisbonne (12 septembre 2006) comme nous y invite Sandro Magister :
Benoît XVI :
«[…] Tout récemment j'ai lu la partie, publiée par le professeur Théodore Khoury (de Münster), du dialogue sur le christianisme et l'islam et sur leur vérité respective, que le savant empereur byzantin Manuel II Paléologue mena avec un érudit perse, sans doute en 1391 durant ses quartiers d’hiver à Ankara. […]
Dans le septième entretien ("dialexis" – controverse) publié par le professeur Khoury, l'empereur en vient à parler du thème du djihad, de la guerre sainte. L'empereur savait certainement que, dans la sourate 2,256, on lit : pas de contrainte en matière de foi – c'est probablement l'une des plus anciennes sourates de la période initiale qui, nous dit une partie des spécialistes, remonte au temps où Mahomet lui-même était encore privé de pouvoir et menacé. Mais, naturellement, l'empereur connaissait aussi les dispositions – d'origine plus tardive – sur la guerre sainte, retenues par le Coran.
Sans entrer dans des détails comme le traitement différent des « détenteurs d'Écritures » et des « infidèles », il s'adresse à son interlocuteur d'une manière étonnamment abrupte – abrupte au point d’être pour nous inacceptable –, qui nous surprend et pose tout simplement la question centrale du rapport entre religion et violence en général. Il dit : « Montre moi ce que Mahomet a apporté de nouveau et tu ne trouveras que du mauvais et de l'inhumain comme ceci, qu'il a prescrit de répandre par l'épée la foi qu'il prêchait ».
Après s'être prononcé de manière si peu amène, l'empereur explique minutieusement pourquoi la diffusion de la foi par la violence est contraire à la raison. Elle est contraire à la nature de Dieu et à la nature de l'âme. « Dieu ne prend pas plaisir au sang, dit-il, et ne pas agir selon la raison (‘sun logo’) est contraire à la nature de Dieu. La foi est fruit de l'âme, non pas du corps. Celui qui veut conduire quelqu'un vers la foi doit être capable de parler et de penser de façon juste et non pas de recourir à la violence et à la menace… Pour convaincre une âme douée de raison, on n'a pas besoin de son bras, ni d'objets pour frapper, ni d'aucun autre moyen qui menace quelqu'un de mort… ».
L’affirmation décisive de cette argumentation contre la conversion par la force dit : « Ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu ». L'éditeur du texte, Théodore Khoury, commente à ce sujet: « Pour l'empereur, byzantin nourri de philosophie grecque, cette affirmation est évidente. Pour la doctrine musulmane, au contraire, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n'est liée à aucune de nos catégories, fût-ce celle qui consiste à être raisonnable ». Khoury cite à ce propos un travail du célèbre islamologue français R. Arnaldez, qui note qu’Ibn Hazm va jusqu'à expliquer que Dieu n'est pas même tenu par sa propre parole et que rien ne l'oblige à nous révéler la vérité. Si tel était son vouloir, l'homme devrait être idolâtre.
À partir de là, pour la compréhension de Dieu et du même coup pour la réalisation concrète de la religion, apparaît un dilemme qui constitue un défi très immédiat. Est-ce seulement grec de penser qu'agir de façon contraire à la raison est en contradiction avec la nature de Dieu, ou cela vaut-il toujours et en soi ? Je pense que, sur ce point, la concordance parfaite, entre ce qui est grec, dans le meilleur sens du terme, et la foi en Dieu, fondée sur la Bible, devient manifeste.
En référence au premier verset de la Genèse, premier verset de toute la Bible, Jean a ouvert le prologue de son évangile par ces mots : « Au commencement était le logos ». C'est exactement le mot employé par l'empereur. Dieu agit « sun logo », avec logos. Logos désigne à la fois la raison et la parole – une raison qui est créatrice et capable de se communiquer, mais justement comme raison. Jean nous a ainsi fait don de la parole ultime de la notion biblique de Dieu, la parole par laquelle tous les chemins souvent difficiles et tortueux de la foi biblique parviennent à leur but et trouvent leur synthèse. Au commencement était le Logos et le Logos est Dieu. […]»
Poursuivons la réflexion avec ce commentaire de Benoît XVI après son voyage en Turquie ( à la Curie romaine, 22 décembre 2006) :
«[…] Dans un dialogue à intensifier avec l'Islam, nous devrons garder à l'esprit le fait que le monde musulman se trouve aujourd'hui avec une grande urgence face à une tâche très semblable à celle qui fut imposée aux chrétiens à partir du siècle des Lumières et à laquelle le Concile Vatican II a apporté des solutions concrètes pour l'Église catholique au terme d'une longue et difficile recherche. […]
D'une part, nous devons nous opposer à la dictature de la raison positiviste, qui exclut Dieu de la vie de la communauté et de l'organisation publique, privant ainsi l'homme de ses critères spécifiques de mesure.
D'autre part, il est nécessaire d'accueillir les véritables conquêtes de la philosophie des Lumières, les droits de l'homme et en particulier la liberté de la foi et de son exercice, en y reconnaissant les éléments essentiels également pour l'authenticité de la religion. De même que dans la communauté chrétienne, il y a eu une longue recherche sur la juste place de la foi face à ces convictions – une recherche qui ne sera certainement jamais conclue de façon définitive – ainsi, le monde musulman également, avec sa tradition propre, se trouve face au grand devoir de trouver les solutions adaptées à cet égard.
Le contenu du dialogue entre chrétiens et musulmans consistera en ce moment en particulier à se rencontrer dans cet engagement en vue de trouver les solutions appropriées. Nous chrétiens, nous sentons solidaires de tous ceux qui, précisément sur la base de leur conviction religieuse de musulmans, s'engagent contre la violence et pour l'harmonie entre foi et religion, entre religion et liberté. […]»
1) Traduction française par Charles de Pechpeyrou.
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